Le sang des Dalton
appeler pour qu’on vienne le chercher.
On le transporta jusqu’à une chambre à l’étage, où Miss Thorne lui fit sa toilette. Puis, pendant qu’un médecin de la ville s’occupait de Bryant, elle gagna, de l’autre côté de la rue, un bureau qui avait été celui d’un avocat, où, à la lueur d’une lampe à pétrole, Ed Short démontait son revolver sur une serviette à carreaux étalée sur sa table de travail. Il leva les yeux vers la femme sur le pas de la porte.
« Il est là », annonça Miss Jean Thorne.
Le lendemain matin, elle entra dans la chambre de Bryant avec son petit déjeuner sur un plateau recouvert d’un torchon blanc. Charley était étendu sur le dos, sa Winchester contre la jambe, sur les couvertures. Seuls ses yeux bougeaient.
« Je ne crois pas être en état de manger », dit-il.
Elle déposa le plateau sur la commode et laissa la porte ouverte, puis le marshal fédéral adjoint Ed Short apparut sur le seuil, en costume noir, dissimulant un pistolet sous le chapeau gris qu’il tenait à la main.
« En route pour Wichita, Charley », lâcha-t-il.
Short confisqua la Winchester et fourra dans la poche de sa veste le six-coups de Bryant. Il autorisa le hors-la-loi à se servir du bassin et à se laver dans la cuvette, puis le menotta et poussa un Bryant claudicant dans le couloir où la femme de chambre enceinte nettoyait le noir de fumée au plafond. Short et son prisonnier passèrent la nuit dans le bureau du marshal adjoint à manger des gésiers de poulets et à jouer aux cartes. Enfin, dans l’après-midi du 3 août, une foule les suivit jusqu’à la gare de Hennessey et demeura plantée derrière eux pendant qu’ils attendaient sur un banc un train à destination du nord. Un grand type à l’expression fixe affirma à Short qu’il avait ouï dire que les Dalton allaient risquer une tentative de sauvetage désespérée.
« Qu’ils essayent ! » répliqua Short.
Peu après, le train s’était présenté en haletant et ils avaient gagné leurs places dans l’une des voitures.
Durant l’arrêt suivant, à Enid, Bryant émit le souhait de fumer et ils allèrent s’installer à l’avant, dans la voiture fumeurs, où Short roula deux cigarettes – une pour Bryant, une pour lui –, puis considéra les fumeurs dans les fauteuils autour d’eux, avec leurs moustaches en guidon de vélo, en costume sombre et chapeau melon, qui lisaient les journaux ou la Bible. L’un d’eux ouvrit sa montre de gousset, la referma avec un claquement. Les voitures se remirent en branle en s’entrechoquant et la fumée de tabac s’étira en direction du haut des fenêtres ouvertes où le vent la happa. Tout le monde lorgnait Bryant, qui devait lever ses deux mains menottées pour ôter sa cigarette de sa bouche.
« Ils me reluquent, grogna Bryant en relevant le col de sa chemise.
— C’est parce qu’ils n’ont jamais vu de meurtrier.
— C’est qu’une excuse. Ils guignent ma cicatrice. »
Il avait parlé si fort que tous les curieux se détournèrent.
Une fois qu’ils eurent terminé, Short écrasa leurs mégots sur le sol et ordonna à Bryant de se lever. Ils traversèrent en tanguant deux voitures Pullman oscillantes et leurs plates-formes jusqu’au fourgon à bagages, dont Short martela la porte du poing.
« Tu seras moins incommodé, ici », expliqua-t-il.
Le guichet s’ouvrit, se referma, la porte coulissa et le marshal adjoint poussa son prisonnier à l’intérieur. Le bagagiste chauve, en pantalon à bretelles et en sous-vêtements longs jaunis et maculés de taches de nourriture au voisinage des boutons, se rassit sur une chaise près d’une malle. Une barbe de deux centimètres et demi lui courait le long de la mâchoire.
Short lui tendit son propre revolver.
« J’ai laissé son fusil dans la voiture passagers. Tu peux le surveiller pendant que je vais le récupérer ?
— Va, Ed, de toute façon, je faisais pas grand-chose. »
L’employé des chemins de fer remisa l’arme dans un casier à courrier au-dessus de lui. Bryant s’assit sur une caisse, les mains entre les genoux. Il se balançait tranquillement, bercé par le roulis du train. Lorsqu’il se concentrait, il n’était pas zinzin du tout.
« Cette cicatrice remonte à quand j’avais quatre ans, confia-t-il au cheminot. Je dormais trop près du poêle et ma mère a trébuché sur moi un matin. »
Le bagagiste lui lança un coup d’œil.
« Ça se
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