Le sang des Dalton
remarque à peine », assura-t-il.
Il coupa avec une pince un morceau de barbelé qu’il agrafa sur une planche.
« C’est un hobby, c’est ça ? demanda Charley.
— Ma collection de barbelé.
— Je parie que tu dois avoir des tas de spécimens, vu comme tu voyages. »
L’employé de chemin de fer tourna vers Bryant une planche sur laquelle étaient fixés douze tronçons de fil de fer.
« T’es un ancien cow-boy ? » se renseigna-t-il.
Bryant plissa les yeux.
« Celui du haut, c’est du Kelly avec des barbes en crampon.
— Breveté en 1868. Et celui-là ?»
Bryant se leva et s’approcha.
« Bah, c’est que du Glidden à deux fils.
— Quand est-ce qu’il a été breveté ?
— Comment je le saurais ?
— Moi, je le sais. 1874. Je suis un érudit en la matière.
— Le dernier me dit que dalle. »
Le bagagiste baissa les yeux.
« Celui-là ? C’est du A. Ellwood écarté. »
Bryant donna un coup de pied dans la planche et s’empara du pistolet de Short dans le casier. Il arma le chien et s’écroula sur la malle. Il ahanait après ces quelques mouvements.
« Bouge pas. Continue à faire ce que tu faisais. Pour l’instant, j’ai aucune raison de te faire du mal.
— Pourtant, je le mériterais, vu comme j’ai été stupide. »
Bryant s’efforça de reprendre son souffle et s’essuya le visage sur l’intérieur de sa manche.
« J’aurais pas deviné que t’étais aussi moribond, fit le cheminot.
— Je suis aussi mal en point qu’on peut l’être sans avoir d’asticots dans les trous de nez. Tous les matins, je suis surpris de me réveiller en vie. C’est pour ça que j’ai besoin de ce flingue. J’en peux plus de languir.
— Un dernier rodéo, c’est ça ?»
Pendant ce temps-là, Short se frayait un chemin à travers le train, la Winchester de Bryant à la main. Un porteur noir se tenait sur la plate-forme entre la voiture Pullman et le fourgon à bagages, un escabeau en appui sur le genou. Short retira son chapeau et se pencha sur le côté du train. Le courant d’air aplatit ses cheveux blonds sur son crâne.
« Quel est le prochain arrêt ? s’informa-t-il.
— Waukomis, dans deux minutes à peu près. »
Blackface Charley Bryant entendit la voix de Short et ouvrit brusquement la porte du fourgon à bagages en brandissant le revolver du marshal adjoint.
« Tu devrais voir ta tronche, Short ! » ironisa-t-il.
Short foudroya Bryant du regard, puis redressa le canon de la Winchester qu’il tenait à hauteur de hanche et fit feu comme Charley pressait la détente du pistolet. Le bruit fut semblable à deux portes qui claquent et l’air vira au bleu. Bryant fut projeté contre le chambranle en acier de la porte ; Short vacilla en arrière avec un trou noir dans son gilet, qu’il épousseta comme pour se débarrasser de miettes de nourriture. Charley grimaça, commença à s’affaisser. Le marshal adjoint tira à nouveau et Bryant tomba assis par terre.
Il vit ses jambes agitées de soubresauts et une tache d’urine s’épanouir sur son pantalon, mais il avait l’échine brisée et la moelle épinière sectionnée : la douleur n’était guère plus forte qu’une brûlure d’estomac. Il ferma les yeux, abaissa son arme et Short crut qu’il était mort. Le marshal adjoint s’agrippa à la rambarde, le gilet imprégné de sang, et discerna, à moins de cinq cents mètres de distance, la gare et des femmes en robe à tournure sur le quai. Il s’écarta du garde-corps pour traîner son prisonnier hors de la vue de ces dames qu’il voulait ménager, mais avant qu’il n’ait pu faire un demi-mètre, Bryant braqua à nouveau son pistolet sur lui, brûla cinq cartouches et fît encore cliqueter le chien à trois reprises avant de laisser retomber l’arme sur ses jambes.
Short heurta la porte de la voiture Pullman sous l’effet des impacts et fut touché au poumon, au rein, au foie et à la rate. La fumée tourbillonna entre les wagons, puis fut aspirée sur les côtés comme les roues crissaient sur les rails sous l’action des freins. Le porteur et le chef de train étaient recroquevillés contre la paroi de la voiture Pullman et les passagers accroupis sur le sol. Le bagagiste ouvrit en grand la porte du fourgon à bagages, arracha le revolver de la main de Bryant, le tira par le col de la chemise et le roua de coups de pied jusqu’à ce que la tête de Charley roule mollement.
« Espèce de salaud !
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