Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
quelque chose de surnaturel était survenu, qui la laissait comme étrangère à elle-même, aux événements et aux gens qui l’entouraient.
Le couple prit place à la table d’honneur et, avant que ne débute le repas de fête, les esclaves vinrent présenter les cadeaux de mariage. Les plus riches citoyens romains avaient été invités à dépenser sans compter pour célébrer ces noces impériales et Varius leur avait fait savoir qu’il saurait apprécier leur loyauté à la hauteur de leur générosité. Les jeunes mariés se virent ainsi offrir de nombreux objets en or (personne n’ignorant plus le goût obsessionnel de l’adolescent pour ce métal précieux), des tableaux, des bronzes, des marbres, des toiles peintes par des artistes renommés, des sculptures, des instruments de musique, des chevaux, des animaux exotiques, des litières, des meubles en bois rare.
Dès le début du repas, Varius se montra d’humeur fort avenante et joyeuse, tandis qu’Annia, elle, se taisait, le regard au loin, et affichait une composition tranquille. Elle feignait la sérénité, s’obligeant à attendre le moment propice pour mettre fin à cette ridicule comédie.
Varius, surpris de la voir si lointaine en une pareille circonstance, ne la quittait pas des yeux et se désolait qu’elle s’intéressât davantage à fixer quelque point vague au-dessus de sa tête qu’à prêter l’oreille aux phrases qu’il prononçait avec tant d’intelligence et de finesse.
Il éprouva rapidement un malaise inexprimable en réalisant qu’il était incapable de la captiver, de la séduire. Il la sentait si détachée, si indifférente, si anormalement calme… S’était-il trompé ? Annia Faustina était-elle comme la méchante vestale ? Il s’affola en devinant qu’il y avait peut-être, dans les veines de cette femme-là aussi, une indépendance et une force incontrôlables, un instinct de liberté que ni les menaces ni les ruses ne parviendraient jamais à vaincre.
De nouveau, il ressentit ce sentiment familier de honte, l’impression pénible de sa nullité. Il eut également le fâcheux pressentiment qu’il ne saurait jamais comment dompter et satisfaire ce corps étranger. Ce soir, Annia, comme toutes les autres créatures de son sexe, mettait au jour cette part de vérité intime qu’il détestait : elle lui révélait son propre dégoût de lui-même, son incapacité à aimer les femmes et à s’en faire aimer. Et sa douleur d’amour-propre resurgit comme une blessure ouverte.
Il persista cependant à tenter de la conquérir et, pour attirer son attention, il lui parla de choses gaies et légères, voulut se montrer amoureux sans muflerie, drôle sans exagération, eut des attentions délicates pour paraître gentil. Il l’interrogeait, cherchait à éveiller sa curiosité, à la faire sortir de sa placide indifférence.
Mais elle répondait chaque fois par une phrase courte et banale, un mot à peine soufflé, jeté entre une bouchée et un regard distrait.
L’adolescent, dont la nature coléreuse et capricieuse finissait toujours par l’emporter, en vint naturellement à s’exaspérer de cette attitude. Alors, mordu par une impatience puérile, il lui attrapa le coude afin qu’elle le regarde et l’écoute. Mais Annia retira son bras, lentement, sans s’apeurer, et détourna la tête.
— Ne brusque pas les choses… conseilla Soemias à son fils, en se penchant discrètement à son oreille. C’est avec de la patience qu’on soumet peu à peu la plus farouche des cavales. Il en est de même pour les femmes, mon chéri.
— J’ai l’impression d’être invisible, souffla Varius.
— Supporte et tiens bon, lui suggéra encore Soemias ; bientôt elle s’adoucira.
Encouragé par cet avis féminin, Varius donna à Annia toutes les preuves de son amour naissant et de son dévouement. Il n’eut de cesse de se montrer agréable, de veiller à ce que sa femme reçût les meilleurs morceaux, qu’elle fût servie la première ; il vanta sa beauté, lui fit mille sourires engageants.
Pourtant, toutes ces marques de bonne volonté restèrent sans effet sur Annia. Alors, ne sachant plus comment attirer son attention ni comment la séduire, l’adolescent essaya de l’acheter en tentant sa coquetterie.
— Tes yeux ont la couleur de l’émeraude, lui déclara-t-il avec une naïveté touchante. Je ferai sertir toutes les pierres que je possède et j’en couvrirai chacun de tes
Weitere Kostenlose Bücher