Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
Soemias, elle, savait ce que pouvait cacher cette mélancolie persistante. Elle devinait chez son fils la honte de son impuissance, de son incapacité à jouir et à faire jouir.
Elle sentait en lui l’angoisse débilitante de la solitude et du rejet. Bien que masquée sous une gaieté forcée, des sarcasmes permanents ou des facéties infantiles, cette angoisse était si profonde, si viscérale, qu’elle avait fini par prendre entièrement possession de l’esprit de son enfant et par le ronger, comme une maladie parasite.
— Crois-tu, toi aussi, qu’il est fou ?
— Je ne sais pas, avoua Protogène. Je ne le comprends pas. On dirait que son corps grandit, mais pas son esprit.
Soemias resta pensive. Après tout, connaissait-elle Varius aussi bien qu’elle le prétendait ? Elle-même avait du mal à cerner sa personnalité et ses contradictions la déroutaient. Elle l’avait vu tant de fois si grave, prêt à douter de tout, à commencer de lui-même, de son aptitude à commander, à plaire, à se faire comprendre et, dans le même temps, tellement sûr de son bon droit absolu, certain de détenir seul la vérité, léger, vaniteux et suffisant.
— J’ai parfois l’impression qu’à ses yeux sa vie n’est qu’une perte de temps. C’est comme s’il essayait, par tous les moyens, de cacher sa souffrance sous un air d’insouciance.
— Tu te poses trop de questions, répliqua Protogène en lui donnant une tape sur les fesses. Tu verras, dans quelques jours Antonin se sera consolé de ses petits malheurs. Tel que je le connais, il n’y pensera même plus.
Soemias saisit la main qui lui effleurait maintenant le dos et la posa sur son sein.
— J’aimerais tant qu’il rencontre l’amour, dit-elle en soupirant. Cela le guérirait peut-être.
— Ton fils n’est pas malade, lui fit remarquer Protogène. Et pour ce qui est d’aimer, il faudrait qu’il sache une fois pour toutes s’il préfère les hommes ou les femmes. Il serait même grand temps qu’il se décide.
Ce choix, finalement, ne tarda pas à s’imposer à Varius comme une évidence. Puisque, par une injustice de la nature, il ne pouvait satisfaire les femmes, il prit la ferme décision de déployer désormais toute son énergie à plaire aux hommes, les seuls qui lui aient jamais manifesté un semblant d’intérêt et d’affection. Ces derniers l’aimaient et recherchaient sa compagnie ; il trouverait donc en eux son unique plaisir et sa bienheureuse consolation.
C’est ainsi que l’empereur, renonçant définitivement à ses projets de mariage et de paternité, entreprit de ne plus vivre que pour se donner aux mâles et pour servir Élagabal, deux priorités qui correspondaient finalement aux exigences de sa nature profondément mystique et invertie.
L’empereur renonça à la solitude de ses appartements pour s’enfermer tous les après-midi dans celle du temple solaire, dont il ne sortait qu’à la nuit tombée. Repris par sa rage pour les excursions nocturnes, il recommença à courir les lieux douteux de la ville, escorté par son dévoué Claudius. Revêtu de déguisements féminins, il connut de nouveau la fièvre des escapades interdites et l’excitation des plaisirs frelatés. Chaque soir, il se lançait dans la recherche de quelques rudes cochers ou de mariniers virils, qu’il échauffait par des œillades effrontées et la promesse muette d’indécents attouchements.
C’était à peu près toujours la même scène : il pénétrait dans les auberges en balançant les hanches, repérait dans la salle quelques spécimens intéressants. Puis il retroussait le bas de sa robe avec des regards coulés pour se faire remarquer, se laissait pincer la taille par les ivrognes, se rengorgeait sous leurs compliments, s’excitait de leur crudité ordurière, s’offrait aux mains sales des muletiers et des esclaves. Dans l’odeur lourde du vin et des grillades, son corps et ses sens s’embrasaient sous ces haleines empestées et ces caresses brutales. Jusqu’au moment où, par un élan furieux et incontrôlable, l’homme dont il avait si bien allumé les ardeurs lui faisait enfin subir l’outrage tant désiré.
Mais la fréquentation des tavernes sordides et des quais du Tibre devait bientôt lui révéler les véritables dangers de la ville. Un soir qu’il traînait avec Claudius dans un bouge infect du quartier du Vélabre, un début d’incendie manqua de leur coûter la vie à tous deux. Le feu
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