Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
arrivait, plus souvent qu’il ne l’aurait voulu, de surprendre sur le visage du jeune garçon des expressions discrètes où se mêlaient l’ironie et la lassitude. Alors, dans ces moments-là, il se repliait immédiatement sur lui-même, se glaçait, affichait sa mine boudeuse d’enfant vexé.
— Tu devrais apprendre à contrôler tes battements de cils, Alexianus, ils te trahissent sans cesse, le prévint-il un jour. Je t’aime bien et je sais que l’on t’a volontairement tenu dans l’ignorance de notre religion. Aussi suis-je obligé de te pardonner. Mais je n’aimerais pas que cette charmante tête restât trop longtemps dans les ténèbres…
Mais plus le temps passait et plus Varius prenait la mesure des différences qui l’opposaient irrémédiablement à son fils adoptif. Alexandre, il devait bien le reconnaître, était tout son contraire.
Et leurs divergences tenaient autant du fond que de la forme. Alors que Varius voulait converser avec lui en grec ou en syriaque, langues qu’il pouvait utiliser sans effort et auxquelles sa pensée se référait instinctivement, Alexandre s’obstinait à lui répondre en latin. Son jeune cousin possédait également une vaste culture, qui, loin de l’impressionner, l’agaçait prodigieusement car elle le plaçait dans une position d’infériorité.
En effet, Mammaea, soucieuse d’assurer à son fils l’éducation la plus complète, n’avait épargné aucun effort pour procurer à Alexandre la meilleure formation. Depuis qu’il était en âge de lire et de raisonner, elle veillait sur ses études et l’avait entouré d’un collège de pédagogues spécialisés : des maîtres d’éloquence et de philosophie, des grammairiens, des professeurs de lettres grecques et de culture latine, des sophistes, des rhéteurs, mais aussi des peintres, des sculpteurs, des musiciens. Sans compter qu’Alexandre était devenu aussi habile à monter à cheval qu’à lancer le javelot. Seuls le chant et la danse avaient été résolument exclus de son éducation car l’austère Mammaea considérait ces arts comme parfaitement impudiques et les tenait bons pour les histrions mais non pour un enfant de l’aristocratie, à fortiori de sang royal.
Aussi s’indigna-t-elle profondément quand Varius se mit en tête d’apprendre à son jeune cousin à se trémousser et à chanter pour mieux servir Élagabal.
— Ce sont là des distractions de mauvais goût, dit-elle à son neveu avec mépris, des distractions auxquels s’adonnent les débauchés mais qui ne conviennent pas à la dignité d’un co-empereur. Il n’est pas question qu’Alexandre apprenne à se tortiller en tunique devant ton caillou, ni qu’il se peigne les joues et les yeux comme une danseuse !
Au mot « caillou », Varius frémit de rage et eut bien du mal à contenir son envie d’étrangler sa tante.
— Co-empereur ? dit-il d’un ton hargneux. Tu n’as rien compris. J’ai accepté d’adopter Alexianus dans le seul but de l’initier à ses compétences liturgiques. En tant que second petit-fils de Bassianus, la tradition familiale l’appelle à devenir, lui aussi, grand prêtre d’Élagabal.
Mammaea se raidit en réalisant qu’effectivement elle s’était lourdement trompée quant aux motivations de son neveu : seule importait à Varius la succession spirituelle, et non pas la succession politique. Et cette perspective la rendait folle de rage et d’inquiétude. Il n’était pas imaginable qu’Alexandre, son sage et pieux Alexandre, appelé aux plus hautes charges de l’Empire, compromette sa réputation si chèrement acquise et ses chances d’accéder à la pourpre en endossant la robe des prêtres syriens et en s’exhibant dans des liturgies répugnantes et délirantes !
— Alexandre est un Romain, lui rappela-t-elle. Il ne peut pas renouer avec ses racines émésiennes, ni être prêtre.
— Alexandre est mon fils, lui rétorqua sèchement Varius. Aussi ai-je toute autorité pour décider de ce que je dois lui enseigner. Il est mon héritier et je l’obligerai à faire tout ce que j’ai fait et tout ce que j’ai l’intention de faire.
Cette fois, l’empereur exprimait clairement son intention d’initier aussi son petit cousin à sa vie dissolue.
— Si j’ai permis que mon fils soit investi du titre de César, répliqua à son tour la princesse avec hargne, ce n’est pas pour que tu le contamines de tes vices.
Les remarques de Mammaea ainsi que
Weitere Kostenlose Bücher