Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
avec véhémence. Certainement pas ce vieillard dépravé !
— Caligula ?
— Encore moins !
— Néron ?
— Efféminé, odieux et pédant.
— Domitien ?
— Le Néron chauve ? C’était un monstre de cruauté !
— Commode ?
— Incapable, brutal, grotesque.
— Qui alors ? Qui a laissé dans la mémoire des hommes le souvenir du meilleur princeps (24) ?
— Auguste, peut-être.
— Qui d’autre ?
— Vespasien. Trajan. Antonin. Et Marc Aurèle, bien sûr.
— Exactement ! approuva Épagathos en levant la main. Et sais-tu pourquoi ces hommes-là sont considérés comme les meilleurs ? Parce qu’ils ont su allier les qualités du chef à la sagesse du philosophe. Ils étaient bons, pacifiques et soucieux de la paix civile. Et ils n’ont jamais abusé de leur pouvoir. Les sénateurs ont toujours exécré les tyrans. Aujourd’hui encore, ils redoutent l’arbitraire d’un empereur qui diminuerait le prestige de leur digne assemblée et s’arrogerait un pouvoir de vie et de mort sur leurs respectables personnes. Aussi, je te conseille, dans ta lettre, de te dépeindre comme un homme résolu dans la pratique de ses devoirs, mais sage et généreux.
— C’est une excellente idée, approuva Macrin. Je veux que le Sénat sache qu’avec moi, s’éloignera définitivement le spectre de la guerre civile, que chaque citoyen romain vivra en paix et que je contribuerai au bonheur du peuple.
Il s’arrêta un moment, effleura de nouveau sa barbe.
— Écris, Philophorus !
Le scribe se pencha sur sa feuille et tordit sa bouche fine, dans une grimace exagérément appliquée.
« De Marcus Opellius Macrinus au Sénat et au peuple de Rome, Salut.
Pères conscrits, vous savez ce que fut, de tout temps, ma conduite. Vous connaissez le penchant de mon caractère à l’honnêteté, et la sagesse avec laquelle j’ai, par le passé, occupé la fonction de préfet du prétoire. Je n’approuvais pas les agissements de mon prédécesseur, vous le savez, et j’ai souvent pris des risques pour vous défendre lorsqu’il vous traitait sans ménagement. D’ailleurs, Antonin Caracalla me reprochait souvent, en public, ma modération et mon humanité envers les gens soumis à mon pouvoir. L’empereur affectionnait les flatteries et considérait comme des amis dévoués ceux qui encourageaient sa cruauté ou excitaient sa colère. Pour ma part, je préfère la douceur et la modération en toute chose. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai voulu mettre un terme à la guerre avec les Parthes.
En concluant un traité avec le Grand Roi (25) , nous nous sommes fait de l’ennemi tenace qu’il était, un ami fidèle.
Il en sera toujours ainsi lorsque vous m’aurez conféré les investitures impériales : sous mon autorité tous les citoyens vivront en sécurité et l’Empire échappera aux guerres et aux effusions de sang. »
— Voilà une belle promesse…
— Que je compte bien tenir.
Épagathos réprima une moue sceptique. Tant d’empereurs avaient fait le même serment avant de prendre la pourpre ! Mais l’ivresse du pouvoir les avait ensuite privés de raison et, bien souvent, leur règne n’avait été qu’une suite de crimes sanglants et de cruautés.
Macrin, quant à lui, semblait honnête. Saurait-il seulement garder la tête sur les épaules ?
— Faut-il aborder le sujet de mes origines ? s’enquit-il d’une voix gênée.
— C’est indispensable, répondit son favori avec franchise. Les Pères conscrits acceptent difficilement l’idée que tu ne sois pas un des leurs.
— Je ne le sais que trop bien, souffla le vieil homme d’un air dépité. Je vais être le premier empereur de Rome qui ne soit pas issu de l’ordre sénatorial…
Seul un membre du premier ordre pouvait, selon les règles institutionnelles de la République toujours en vigueur, détenir l’ imperium.
Philophorus ouvrit ses grands yeux et prit un air ahuri, un peu niais, qui fit sourire Macrin malgré lui.
— Un chevalier ne peut être empereur ? demanda le jeune scribe en levant sa plume en l’air.
— En principe, non, lui répondit Épagathos. L’ordre équestre est une aristocratie de second rang… C’est pourquoi ses membres ne peuvent pas, en théorie, prétendre au pouvoir suprême.
— Voilà bien un préjugé stupide ! s’offusqua Macrin. Les chevaliers fournissent depuis longtemps les meilleurs cadres de l’administration impériale
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