Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
révélaient toute la violence de son désir.
Il se ressaisit, chassa de sa figure cette expression stupide qu’il devinait, et risqua une question indiscrète, en s’obligeant à ne pas rougir :
— Depuis quand aimes-tu Gordius ?
— Je n’aime pas Gordius, répondit Hiéroclès en passant une main épaisse sur sa cicatrice.
— Il est pourtant ton amant ? s’étonna Varius à voix basse.
De nouveau Hiéroclès eut ce sourire étrange, qui ne voulait rien dire, rien dévoiler, et qui laissait planer sur son visage aux traits virils le voile si excitant du mystère. Varius fut envahi d’une envie irrésistible de se pencher vers les lèvres rudes de l’aurige, d’aspirer la douce fleur de son souffle. Cette envie fit céder sa timidité et le poussa à l’effronterie :
— Ta bouche doit avoir la douceur du miel, dit-il sans baisser les yeux. Même si on me laissait l’embrasser sans relâche, je n’en serais jamais rassasié.
Accompagnant ces mots audacieux, il posa la main sur la nuque de Hiéroclès, le suppliant silencieusement, comme une femme éperdue et languissante.
Gordius, qui n’avait absolument pas pressenti l’attirance de l’empereur pour son jeune amant tant il était occupé à se soûler eut un hoquet de surprise en voyant cette scène, puis un mouvement de réprobation. Mais Hiéroclès l’ignora superbement.
Et comme Varius, le cou tendu, les lèvres ouvertes, attendait toujours son baiser, l’autre ne se refusa pas, approcha sa tête, offrit la seule chose qu’il avait à offrir.
L’empereur embrassa alors le jeune cocher avec la flamme d’une maîtresse impatiente. Et Hiéroclès, contre toute attente, lui rendit cet hommage avec une sauvagerie un peu brutale qui le fit gémir de plaisir. Durant une longue minute, ils échangèrent un baiser brûlant, dans lequel leurs langues avides se mêlèrent.
Et quand Varius, enfin, se détacha de ces lèvres qui venaient de le dominer sans indulgence, il comprit qu’il avait devant lui son seul et véritable amour. Dans son cerveau devenu soudain amnésique de toute passion antérieure, le souvenir de ses anciens amants s’envola comme une ombre légère, à travers les vapeurs de roses et de vin.
Gordius, dépité mais résigné, attira alors contre lui un petit serviteur au torse épilé.
— Viens consoler l’aurige vaincu… ordonna-t-il, hargneux et malheureux, à l’esclave.
Et, d’un signe de la tête, il lui signifia qu’il l’autorisait à lui prodiguer de douces caresses, tandis qu’il noierait son amertume dans son falerne.
L’empereur, de son côté, continuait de regarder Hiéroclès avec un visage égaré et ravi.
— Comment cela se fait-il ?… commença-t-il à voix basse.
Puis il se tut. Il ne comprenait pas pourquoi, depuis deux ans qu’il était à Rome, il n’avait jamais pensé à rencontrer ce sublime étalon.
— Je ne sais si tu es un rêve ou une réalité, un homme ou un dieu, lui murmura-t-il, la bouche molle et rosie.
— Je suis celui que tu attendais, répondit Hiéroclès de son timbre rauque.
Comblé au-delà de ses espérances par cette réponse qui sonnait comme une promesse, Varius s’abandonna tout à fait :
— Oh, serre-moi contre toi, Hiéroclès, implora-t-il les yeux humides de bonheur. Enveloppe-moi de ta force, de ta chaleur, j’ai froid d’être resté si longtemps sans amour…
Et sur ces paroles, il enlaça passionnément le cocher et lui proposa de le conduire dans l’intimité de sa chambre. Alors les deux garçons, sans attendre la fin du repas, sans un mot pour les autres convives, se levèrent ensemble et traversèrent le tri-clinium. Varius avait noué ses bras autour de la taille de Hiéroclès et se serrait contre lui, comme s’il voulait ne faire qu’un avec lui avant même d’atteindre les voluptés de sa couche.
Ils avancèrent collés l’un à l’autre, ne regardant plus rien qu’eux-mêmes et s’éloignèrent des lumières de la fête.
Sitôt après le départ de l’empereur, les domestiques commencèrent à emporter la vaisselle sale et à nettoyer la grande pièce. Le banquet s’acheva sur le spectacle, habituel, des favoris vautrés sur leur lit et cuvant leur vin et de Claudius en train de vomir. Dans le silence retrouvé, on n’entendit plus soudain que des bruits confus : les soupirs et les gémissements de Gordius qui cherchait sa consolation dans une bouche servile, et le grognement des chiens occupés à
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