Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
le sobriquet infamant d’« Héliogabale », la droite Mammaea avait fini, elle aussi, par céder à la tentation de la calomnie. Et puisque la cause était grande, elle s’était même résolue à voir grand dans la diffamation, soulageant sa conscience par la conviction qu’une fois n’était pas coutume et que la fin, si elle était noble, justifiait tous les moyens. Non contente d’attiser la haine des prétoriens à l’égard de Varius, elle fit courir, dans la ville, des bruits qui dépassaient largement les lubies religieuses de son neveu ou l’étalage de sa vie déréglée et de sa lubricité.
Dans un premier temps, les Romains avaient appris, non sans une réaction d’horreur, que pour honorer sa pierre noire, l’empereur lui sacrifiait des créatures humaines. La rumeur se propageait qu’Antonin, imitant les sacrifices au Moloch des Phéniciens et des Carthaginois, offrait à son dieu émésien la vie de nourrissons. Il faisait enlever à Rome même et dans toute l’Italie, non pas de petits esclaves, mais des enfants de naissance libre, des enfants de l’aristocratie, qu’il arrachait au sein de leur mère. Et quand il ne faisait pas égorger ces innocentes victimes sur l’autel du temple solaire, il les livrait, disait-on, à ses devins et à ses astrologues afin que ces derniers puissent lire l’avenir dans leurs entrailles encore chaudes.
Bientôt, la campagne de dénigrement orchestrée par Mammaea ne connut quasiment plus de bornes. Elle n’hésita pas à porter l’accusation la plus grave, celle qu’aucun Romain, même le plus pervers, ne pouvait pardonner : Antonin après s’être fait châtrer comme un galle, avait ordonné à un chirurgien de Memphis de lui faire un vagin !
Rome pouvait-elle abandonner sa fortune aux mains d’un empereur qui n’était ni un homme, ni tout à fait une femme, à un être hybride dont on ignorait à quelle espèce il appartenait, qui s’était volontairement retranché hors du genre humain ?
Il fallait que la conclusion s’imposât d’elle-même dans l’esprit de tous – et de cela Mammaea n’eut bientôt plus de doute – : ce monstre débile n’était plus digne de régner et la pourpre devait naturellement revenir à son successeur désigné.
* * *
— Où est Alexianus ?
— Je me fiche de savoir où se trouve et ce que fait Alexianus, lâcha Varius en sortant du caldarium.
Une horde d’esclaves, munis de serviettes, de strigiles et de flacons d’huile l’assaillirent aussitôt comme une nuée de mouches. Il les chassa d’un geste flegmatique et se laissa envelopper dans une longue robe ouverte, sans manches.
— Tu devrais le faire surveiller, lui suggéra Soemias.
Varius leva les mains afin de soutenir ses cheveux mouillés.
Il laissa courir son regard le long de son bras droit, de l’aisselle pleine et épilée, jusqu’à son poignet rond, et se trouva beau dans cette pose.
— J’ai autre chose à faire que de surveiller ce nigaud, répli-qua-t-il avec nonchalance.
Soemias soupira.
— Tu aurais dû refuser cette adoption, mais tu ne m’as pas écoutée. Que comptes-tu faire maintenant ?
Il lui répondit machinalement, au hasard, n’importe quoi, uniquement pour le plaisir puéril de fournir une réponse idiote à une question ennuyeuse.
— Je vais me faire couper les ongles.
De tendre et caressant qu’il était d’abord, le visage de Soemias afficha un air irrité de ne pas avoir été comprise ou pire encore, d’avoir été prise pour une sotte.
— Je voulais dire : que comptes-tu faire au sujet d’Alexianus ?
Varius secoua la tête avec langueur, comme s’il était extrêmement las.
— Rien, dit-il.
Sa mère haussa les sourcils, l’air effaré.
— Mon fils, dit-elle en lui prenant la main, tu n’as toujours pas compris ? Tu n’as donc rien deviné ?
— Que faudrait-il que je devine ?
— Alexianus est dangereux !
— Pffeu ! Je ne vois pas où est le danger… fit l’empereur en retirant sa main. Alexianus n’est qu’un bébé, il n’a pas les moyens de comploter contre l’empereur.
— Mais enfin ! s’exclama brutalement Soemias, réveille-toi ! Alexianus serait peut-être inoffensif s’il n’était pas le fils de ma garce de sœur ! Je viens d’apprendre que Mammaea distribuait son or aux prétoriens ! Elle les paye même grassement !
— Elle les paye ? Pourquoi ?
— Pour qu’ils soutiennent Alexandre au cas où…
Elle
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