Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
avec son or et ses belles paroles ! Elle les a tous montés contre nous !
Elle parlait à présent avec une voix où tremblaient la crainte et le désespoir.
Varius, ému de son trouble, lui fit signe de se rapprocher plus près.
— Tu ne dois pas avoir peur, lui murmura-t-il à l’oreille, bien qu’il n’y eût que Hiéroclès dans la pièce qui pût entendre cette confidence.
— Je ne peux pas m’en empêcher, répliqua Soemias. La situation est grave, Varius. Et toi aussi, tu avais peur avant de t’installer ici. Crois-tu que tout a changé depuis que tu vis reclus dans ton palais et dans tes jardins ?
Il fit non de la tête et sourit benoîtement :
— Je n’ai plus peur parce que j’ai consulté les mages.
— Les mages ?
— Ils ont interrogé Élagabal… Et Élagabal leur a répondu que je ne devais pas m’inquiéter.
— Il est possible que les mages se trompent, lui répondit Soemias, gênée. Moi je pense au contraire que nous avons toutes les raisons de nous affoler.
— Élagabal leur a fait savoir que j’avais reconquis l’amour de mon peuple et que les sénateurs seraient désormais plus dociles que des petits agneaux.
— Et sur les prétoriens ? demanda Soemias en laissant échapper un ricanement nerveux, qu’ont dit les mages sur les prétoriens ?
— Ils n’ont rien dit sur les prétoriens, répliqua Varius avec un mouvement d’humeur. Tu m’agaces à la fin ! Es-tu venue ici pour me gâcher la journée ?
Soemias se raidit :
— Non, j’étais simplement venue te prévenir. Et te mettre en garde : ce n’est pas du Sénat dont tu dois te méfier, mais de l’armée.
Tout en lui parlant, elle se mit à scruter les détails de son visage : le menton un peu veule, les poches marquées sous les yeux, le regard éteint, la bouche éternellement retroussée et avide, sous l’enflure friande des narines. Il y avait dans sa physionomie quelque chose d’éreinté et de brûlant à la fois, un air de fête triste.
Elle soupira, désolée :
— Mammaea ne tentera jamais rien contre toi, du moins pas directement. Mais elle n’hésitera pas à se servir des prétoriens pour t’abattre.
— Qu’elle le fasse. Je m’en moque.
— Tu t’en moques ?
— Oui, puisque je ne peux pas mourir.
Il avait lancé cette affirmation avec une admirable sérénité et sa mère se demanda s’il n’avait pas définitivement perdu la raison.
— D’où te vient cette certitude ?
— Ce sont les mages qui me l’ont affirmé : la mort n’a aucun pouvoir sur moi car je suis grand prêtre d’Élagabal.
— La mort nous frappe tous, Varius. Personne n’échappe à sa main. Jamais.
— Eh bien, si je meurs, tant pis…
Et jetant un clin d’œil à son amant :
— … puisque je renaîtrai !
Soemias le dévisagea, confondue d’étonnement et de perplexité.
— Mère, lui expliqua Varius en prenant le ton qu’on use avec une enfant, n’as-tu jamais remarqué que chaque soir, le soleil disparaissait sous l’horizon et qu’il réapparaissait, chaque matin, à l’est ? Que chaque année, à l’équinoxe, il renaissait d’une vigueur nouvelle après avoir amorti ses feux durant tout l’hiver ? Tout le monde le sait : notre dieu a le pouvoir de retrouver sa splendeur après avoir été accablé par les puissances des ténèbres. Il est un triomphe perpétuel sur l’anéantissement…
— Oui, lui concéda Soemias. Le soleil a effectivement ce pouvoir.
— Et je suis comme lui ! s’exclama Varius gaiement. Moi aussi, je peux échapper à l’emprise du destin ! Par la vertu des rites et la grâce d’Élagabal, mon âme et mon corps sont exemptés, eux aussi, de la mort !
— J’aimerais tant te croire, mon fils, lui concéda Soemias avec un sourire forcé.
Puis, ne trouvant plus quoi ajouter, elle appliqua sur son front un baiser maternel, qu’il accepta avec une indulgence légèrement condescendante.
— Tu pars déjà ?
— Je reviendrai demain, fit-elle. En attendant, réfléchis bien à ce que je t’ai dit, Varius.
À peine avait-elle quitté la pièce que l’un des hommes de garde annonça à l’empereur l’arrivée de Protogène.
Le favori entra dans la pièce l’air réjoui, manifestement porteur d’une bonne nouvelle, et cette apparition amena sur le visage de l’empereur un large sourire.
— Te voilà enfin ! s’exclama l’empereur. Voilà des jours que tu avais disparu ! Au fait, as-tu
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