Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
toi.
À ces mots, Varius s’immobilisa. Il se tint un instant sur la dernière marche du grand escalier, légèrement cambré en arrière, le pied suspendu dans le vide comme un dieu qui va quitter son piédestal, les yeux accrochés au ciel. Puis, avec une expression de satisfaction orgueilleuse, sa bouche charnue s’étira dans un demi-sourire.
— Bien, dit-il alors. Je vais te suivre.
— Tu fais preuve d’une grande sagesse, le félicita Gannys.
— Mais il ne s’agit pas de moi, déclara Varius avec une voix où se mêlèrent l’ironie et la candeur, en reprenant les mots de son précepteur. C’est Élagabal qui vient de le décider. Il t’a entendu et te fait savoir qu’il accepte de régner sur l’univers.
* * *
Le lendemain, au palais du gouverneur, Ulpius Julianus se présentait devant Macrin, le teint blême.
— Ce que je craignais vient de se produire, dit-il gravement. Le Syrien a été proclamé empereur par les soldats de la légion gauloise.
Le visage du vieil homme se décomposa.
— Quand ?
— Cette nuit. On dit que les Syriennes ont revêtu l’enfant d’une armure semblable à celle de Caracalla et l’ont introduit, avec la complicité de Valerius Comazon, dans le camp de Raphanae.
— C’est impossible… souffla Macrin.
— Les soldats l’ont emmené dans le sacrariu m (33) , parmi les aigles et les statues des dieux et l’ont proclamé imperator sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus, son prétendu géniteur.
— Un empereur ! Ce gamin débile ! s’écria Macrin.
— Nous aurions dû le supprimer quand il était encore temps. À présent il est protégé par les soldats.
L’empereur préféra ignorer le reproche qui perçait dans la remarque de Julianus.
— L’enfant n’est pas ressorti du camp ? s’étonna-t-il.
— Ni lui ni les Syriennes. Ils craignent sans doute tes représailles.
— Parle-moi de sa mère et de sa grand-mère, demanda Macrin. Qui les soutient ? Qui est prêt à les suivre, à part ces traîtres de la III e Gallica ?
— Beaucoup de simples soldats, dans toutes les autres légions d’Orient, qui te trouvent trop vieux pour régner et qui te reprochent les quinze millions de sesterces que tu as versés à Artaban pour conclure une paix humiliante. Et les nouvelles recrues, qui t’en veulent d’avoir réduit leur solde de moitié.
— Qui d’autre ?
— Des hommes de ta garde prétorienne, ici même à Antioche. Ils restent fidèles à la mémoire de Caracalla. Un grand nombre d’entre eux ne te pardonnent pas le meurtre de leur chef bien-aimé qui les comblait de faveurs. On dit qu’ils seraient prêts à se rallier aux rebelles de la légion gauloise.
— Mes prétoriens ?
— Oui, César.
Macrin sentit ses jambes vaciller sous sa toge mais s’efforça néanmoins de rester digne. Que le poids des ans, ajouté à celui de la pourpre, lui semblait lourd tout à coup !
Et comme si les nouvelles alarmantes qu’il venait de lui apporter ne suffisaient pas, Julianus continua sur sa lancée, donnant à ses informations des allures de réquisitoire :
— Voilà pour tes ennemis en Syrie. Mais bien d’autres encore te sont hostiles. À Rome même, les sénateurs critiquent ouvertement le choix de tes administrateurs, en particulier la nomination de ton ami Adventus. La désignation de cet ancien bourreau comme préfet de la ville passe pour une provocation à leurs yeux ; sans compter celles d’Agrippa et de Triccianus à des postes de gouverneurs. Les sénateurs te traitent de parvenu. Ils ne veulent pas d’un empereur qui soit simplement chevalier. Ta naissance et ton parcours ne suscitent que sarcasmes et dénigrements.
Assommé par cette dernière tirade, Macrin dut chercher un appui contre le mur pour ne pas flancher. L’inquiétude et l’amertume donnaient à son visage ravagé par les rides l’expression d’un masque funèbre.
— C’est vrai, dit-il à voix basse, comme s’il se parlait à lui-même. J’ai fait de deux inconnus des gouverneurs, je leur ai confié la Dacie et la Pannonie. Comme je t’ai fait, toi, Julianus, pauvre anonyme, mon préfet du prétoire… Mais qu’aurais-je pu faire d’autre ? Mes origines me privaient de toute relation d’amitié au Palatin, et d’appuis dans l’ordre sénatorial ou l’administration…
Voyant que Macrin commençait à s’apitoyer sur son sort, Julianus posa une main ferme mais rassurante sur son épaule.
— Pour
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