Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
jeune prêtre. Comme chaque fois qu’il se retrouvait seul face à son dieu de pierre, il se fit un vide complet autour de lui. Il ne vit plus les candélabres allumés, les amphores de bronze et d’argent, les ailes déployées de l’aigle au-dessus du socle de marbre : il n’avait d’yeux que pour son phallus de pierre, rayonnant et immobile dans la gloire de sa beauté.
Il resta là, muet, absorbé, insensible à ce qui l’entourait, comme un homme tombé en catalepsie, sans remuer les paupières, sans même plus respirer. Accroupi dans sa robe de soie rouge aux plis amples, il contemplait sa divine roche avec une expression de volupté amoureuse et admirative.
Il demeura de longues minutes dans cet état extatique, les bras tendus vers son Soleil, la bouche entrouverte, jusqu’à ce que l’arrivée de Gannys Eutychianus l’arrachât à sa démente contemplation.
— C’est l’heure. Tu dois m’accompagner, annonça son précepteur d’une voix grave.
Une lueur outragée brilla dans le regard du jeune prêtre qui se dressa comme un serpent prêt à mordre.
— Je n’ai pas l’intention de partir. Comment oses-tu interrompre ma prière ?
Gannys ne se laissa pas impressionner par ce mouvement d’humeur. Il connaissait Varius et ses emportements puérils.
— Nous t’emmenons au camp de Raphanae, précisa-t-il à l’adolescent. Les soldats sont prêts à te proclamer empereur. N’est-ce pas une bonne raison pour abandonner Élagabal quelques heures ?
— Je ne veux pas y aller, répéta Varius en se relevant et en lissant les plis de sa robe.
— Pourquoi es-tu si obstiné ? Écoute mes conseils et fais-moi confiance. Je n’agis que dans ton intérêt.
— Mes astrologues ont demandé à Élagabal si tes conseils et ceux de Maesa étaient avisés. Eh bien, figure-toi que ses lèvres sont restées… muettes.
Gannys était doté d’un esprit subtil. Son intelligence pratique et sagace parvenait toujours à trouver, quelle que soit la situation et quel que soit son interlocuteur, les paroles appropriées.
— Peut-être qu’Élagabal est fatigué d’entendre les mages lui demander sans cesse l’avenir, dit-il simplement. Pourquoi ne lui as-tu pas posé la question toi-même ?
— C’est ce que je m’apprêtais à faire avant que tu ne viennes m’importuner.
Varius croisait à présent les bras sur la poitrine comme un enfant buté.
— Ce ne sera pas long, mentit Gannys. Il te suffit d’entrer dans le camp et de laisser les légionnaires t’acclamer. Ensuite tu pourras revenir au temple.
— Vous m’avez déjà emmené trois fois dans cet horrible camp militaire. C’était à mourir d’ennui.
— Je doute fort que tu t’y ennuies cette fois.
— Et si les soldats ne m’aiment pas ? Si tu te trompes et qu’ils se moquent de moi ?
— Ils t’admirent et te veulent comme empereur. Comment peux-tu imaginer que je te mente ?
Varius eut une petite moue dubitative, terriblement enfantine. Il devait bien se l’avouer, Gannys avait toujours raison. Son tuteur ne mentait jamais, il l’aimait comme son propre fils et lui en avait maintes fois donné la preuve. Et il aimait aussi Élagabal, dont il était un fidèle desservant, au point d’ailleurs qu’il avait accepté, peu de temps auparavant, de se soumettre au rite de la castration, ce qui avait vivement impressionné l’adolescent. Du plus loin qu’il pouvait s’en souvenir, Eutychianus l’avait protégé, instruit, et entouré d’une affection sincère.
Cependant, depuis quelques semaines, son attitude à son égard avait changé. Depuis que Maesa s’était mis en tête de retourner à Rome et qu’elle complotait pour régner, son fidèle précepteur était devenu plus taciturne et plus distant. Il lui parlait comme à un enfant attardé et ne cessait de lui donner des ordres. Et Varius, bien sûr, en éprouvait la plus vive contrariété.
— Que m’importe d’être leur César ! lâcha le jeune prêtre avec mépris, en tournant les talons. Je n’ai pas envie d’aller à Rome. Je n’ai pas d’autre ambition que de servir mon dieu.
Gannys ne fit pas un geste pour le retenir.
— Réfléchis bien, se contenta-t-il de répondre, alors que Varius s’éloignait. Il ne s’agit pas de toi.
— Et de qui s’agit-il alors ?
— D’Élagabal. Rome est la maîtresse du monde. César est le maître de Rome. Si tu deviens César, alors notre dieu gouvernera le monde à travers
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