Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
certaine nervosité.
Flanqué de Comazon, Gannys Eutychianus fit une nouvelle fois le décompte des forces qu’il avait rassemblées précipitamment et inspecta les positions qu’il leur avait fait prendre.
Au centre, l’armée était déployée sur une seule ligne continue et large de seize rangs. Les huit premiers rangs étaient constitués de cohortes mixtes, formées pour les trois quarts de fantassins de la légion gauloise et des prétoriens transfuges et pour le reste de cavaliers légers, d’origine galate, placés en soutien rapproché. Les redoutables frondeurs et les archers à pied que venait de mettre à sa disposition la III e légion cyrénaïque, tout entière ralliée et venue à marche forcée des confins orientaux de la Palestine, composaient les huit rangs suivants.
Sur l’aile droite, piaffaient d’impatience un millier de cavaliers syriens, enthousiastes mais hâtivement entraînés, soutenus par autant de cavaliers sarmates endurcis. Sur l’aile gauche, un contingent d’archers montés arméniens, équipés d’arcs à longue portée, affichaient le calme des vétérans.
Gannys avait décidé de ne placer aucun corps de réserve à l’arrière. Seule une artillerie légère à tir courbe, onagres et balistes, lanceurs de pierres et de poix incendiaire, était déjà en place derrière les légionnaires.
Conscient de son infériorité numérique, Gannys décida de pallier cette faiblesse par une stratégie nouvelle, qu’il exposa à ses officiers réunis :
— N’acceptons pas le combat trop tôt ! Attendons qu’Élagabal, notre Soleil radieux, nous assiste en les aveuglant ! Évitons le contact frontal d’emblée, nous ne sommes pas de force ! Que les soldats restent en formation compacte, les boucliers des huit premiers rangs en position de la tortue ! Que l’ennemi croie pouvoir nous approcher suffisamment près pour percer nos lignes. Laissons-le s’avancer et se fatiguer, et nous l’arroserons avec toutes nos armes de jet !
Un préfet d’aile l’interrompit.
— Commandant, mes éclaireurs syriens viennent de me prévenir que Macrin avaient fait enlever à ses soldats leurs cuirasses et leurs scuta ! Certainement pour leur permettre de lancer une attaque rapide et nous prendre de vitesse !
— Cela ne change rien ! Tenons-nous prêts à tirer avec les balistes dès qu’ils seront à quatre cents pas ! Au fur et à mesure de leur approche, les archers et les frondeurs à bâton prendront le relais. Et si les hommes de Macrin se mettent à courir, même allégés, ils se fatigueront vite. Nous aurons le temps d’en tuer un grand nombre. Et au cas où quelques-uns d’entre eux arriveraient néanmoins au contact, croyez-moi, ils regretteront amèrement leurs armures et leurs boucliers !
Il brida l’impatience de son étalon, dont les naseaux sifflaient, et les sabots cessèrent de marteler la terre sèche.
— Que les centurions doublent rapidement la dotation des fantassins des premiers rangs : deux javelots lourds au lieu d’un seul, pour deux volées rapprochées quand l’ennemi sera à vingt pas. Ensuite, c’est nous qui lancerons une charge brutale au pas de course, pour une attaque boucliers côte à côte en formation de mur, glaive à la main droite.
Gannys avait l’intention de faire goûter aux impériaux la bonne vieille tactique mise au point trois siècles auparavant par Marius : assommer, renverser, blesser et achever puis recommencer et avancer.
Tandis qu’un jeune et bouillant tribun militaire jetait autour de lui un regard d’incompréhension, Comazon crut bon de préciser la pensée d’Eutychianus :
— Imagine-toi être un soldat de l’avant, ramassé derrière ton bouclier, la lame de ton glaive glissée entre ton scutum et celui de ton voisin, pointe relevée. Tu cognes l’homme en face de toi avec ton bouclier, non pas pour chercher à le tuer mais pour le faire tomber. Il te suffit alors de frapper du glaive de bas en haut en direction du ventre ou de l’aine. Ensuite, tu enjambes le corps immobilisé à terre sans plus t’en occuper. Il sera facile, pour le légionnaire qui te suit, de l’achever. Toi et tes compagnons de droite et de gauche, vous continuez sur votre lancée pour assommer et frapper les hommes de chaque rang suivant. Vous finirez ainsi par rompre et anéantir la formation ennemie. Gannys reprit sa harangue d’une voix vibrante :
— Légats, tribuns, et vous aussi, centurions,
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