Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
n’avaient rien de féminin, hurlant comme des furies. Échevelées, le corps ruisselant de sueur, le regard halluciné, elles encourageaient la bravoure des soldats par la promesse de généreuses récompenses, de décorations et de promotions inespérées.
Soemias, les joues rouges, la poitrine gonflée, songeait déjà aux enivrements de la toute-puissance et au bonheur de fouler la pourpre sous ses sandales d’or. Elle s’imaginait, telle une nouvelle Cléopâtre, radieuse et splendide sous son diadème étincelant, au milieu d’un peuple agenouillé, et ces pensées, ces visions délirantes, faisaient bouillonner son sang dans ses veines.
Maesa, comme pour suivre l’envolée des rêves glorieux de sa fille, fouettait d’un bras cruel la croupe et les flancs blanchis d’écume de ses chevaux.
— Je veux y aller aussi ! s’écria Varius en voyant sa grand-mère et sa mère déchaînées sur leur char au milieu des combats.
— Elles sont folles ! répondit Comazon en le retenant par le coude. Elles vont se faire tuer et toi aussi !
— Lâche-moi ! siffla le jeune garçon en se libérant avec fougue. Élagabal me protège, je suis comme lui, je suis le Soleil Invincible !
Revêtu d’une cuirasse moulée et dorée et d’un casque en bronze à cimier, l’adolescent observait, à deux cents pas du champ de bataille, le flot des soldats et le tumulte des corps enchevêtrés.
Il posa la main sur le fourreau ciselé de son glaive et tira d’un coup brusque sur les rênes de sa jument blanche.
— N’entends-tu pas, misérable mouche ? Mon dieu m’ordonne de les rejoindre !
Le jeune prêtre semblait être dans un état d’excitation extraordinaire : ses yeux étincelaient d’enthousiasme, ses mains potelées étaient parcourues de tremblements fébriles, ses narines enflées aspiraient l’air goulûment.
— Si je ne deviens pas le maître du monde, Élagabal ne pourra jamais régner sur l’univers ! Je dois y aller ! Je veux me battre, pour la gloire de mon dieu !
Comazon l’écoutait avec ahurissement. Jamais il n’aurait pu imaginer l’adolescent prendre une semblable résolution, lui qui n’avait jamais été inspiré que par les transes et la danse !
À cet instant, Gannys Eutychianus arriva à leur hauteur.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en voyant Varius en proie à la plus vive agitation.
— Il veut prendre part aux combats !
— Il veut prendre part aux combats ? répéta Gannys, lui aussi stupéfait.
— Il n’a jamais touché un glaive ! protesta Comazon qui, décidément, trouvait la chose trop risquée.
À quoi bon s’être donné tout ce mal depuis des mois si c’était pour perdre aujourd’hui leur seul candidat, alors que la pourpre était à portée de main ?
— C’est vrai, répondit Gannys, il ne sait pas se battre.
Et il faillit ajouter que Varius n’était certainement pas capable de reconnaître ses propres soldats parmi la mêlée !
Il regarda le jeune prêtre, se demandant, une fois de plus, par quel phénomène étrange de la nature cet enfant pouvait ainsi passer de la plus molle indolence, de la passivité la plus extrême, à un état de surexcitation aussi intense.
Cependant il cessa vite de s’interroger, jugeant que le moment n’était pas aux questions mais à l’action.
Il n’hésita qu’une seconde, puis se tourna vers son protégé :
— Eh bien, vas-y ! lui lança-t-il comme un défi.
Poussé par son dieu, encouragé par son tuteur et l’exemple de sa mère, Varius éperonna alors sa monture et partit à vive allure vers ses hommes.
Gannys et Comazon le regardèrent, ébahis, brandir son glaive au-dessus de sa tête, alors qu’il clamait le nom d’Élagabal et celui des Bassianides.
Parvenu au contact des soldats les plus proches mais n’osant pas se fondre au cœur même des combats, le jeune garçon se mit à tourner autour des légionnaires comme un bourdon, faisant se cabrer sa jument, fendant l’air de son arme.
Il ne portait bien entendu aucun coup et prenait garde de ne pas s’exposer au danger, en évitant de rester trop longtemps à la même place, galopant entre les groupes isolés plutôt que recherchant le contact avec l’adversaire.
Gannys Eutychianus l’avait suivi de près et assurait sa protection sans même que Varius, tout à son excitation délirante, s’en aperçoive.
Lorsqu’un cavalier de la garde de Macrin leva sa spatha (58) sur le jeune garçon, Gannys
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