Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
frisottait encore coquettement quelques semaines auparavant. Puis il abandonna, avec un soupir affligé, son beau manteau de pourpre et les insignes impériaux.
— Il me faudrait une escorte, dit-il alors qu’il enfilait le vêtement de voyage en drap sombre. Des hommes sûrs.
— Non, tu ne peux plus avoir confiance en personne, répliqua Épagathos en rabattant sur le crâne du vieil homme la capuche de la pèlerine. Tu dois voyager seul.
Macrin fut secoué par un frisson qui courut de ses pieds à la racine de ses cheveux gris sur ses tempes creuses.
Son visage, tout à coup, refléta une angoisse indicible.
— Je ne veux pas emmener Diaduménien avec moi, souffla-t-il au bord de la crise de nerfs. Il est trop jeune pour faire le voyage jusqu’à Rome.
Épagathos approuva cette décision d’un signe de tête.
— Mais que va-t-il advenir de mon garçon ?
— Je le cacherai dans le palais.
— Non ! Non ! Ils le trouveront ! Ils inspecteront chaque pièce, chaque recoin ! Je ne peux pas le laisser ici !
— Que pouvons-nous faire d’autre ?
— Fais-le conduire chez les Parthes ! dit Macrin d’une voix suppliante. Je ne vois pas d’autre solution. Artaban le protégera.
Voyant que l’affranchi hésitait, l’autre joignit les deux mains.
— Je t’en prie, Épagathos, arrange-toi pour que mon fils quitte la Syrie au plus vite. Car je ne survivrai pas à la mort de mon enfant !
L’autre se laissa attendrir par le désespoir du vieil homme.
— Je m’en occupe, dit-il.
Macrin s’approcha de son favori et le serra contre sa poitrine.
— Mon cher ami, merci ! Ta loyauté m’apporte un peu de réconfort dans cette nouvelle épreuve que m’inflige la Fortune. Adieu !
Il fit quelques pas vers la porte, les jambes flageolantes.
— Oh ! Je ne sais pas si j’y arriverai ! gémit-il en affaissant douloureusement les épaules, comme si sa pèlerine pesait plus lourd que du plomb. Vois, je suis déjà fatigué !
Épagathos eut un sourire forcé.
— Tu trouveras le courage ! Allez, nous nous reverrons bientôt, lui répondit-il d’une voix rassurante. À Rome !
— À Rome… fit le vieil homme d’un air peu convaincu.
— Prends soin de toi, César.
Il avait volontairement appuyé ce dernier mot, comme pour insuffler à son maître l’énergie qui lui manquait. Pourtant cette marque de respect sonnait faux.
Et lorsqu’il vit sortir Macrin de la pièce, avec sa démarche de vieillard, l’échine courbée et les mains qui tremblaient d’une irrépressible angoisse, il eut la certitude qu’il ne le reverrait plus.
* * *
Monté sur un rapide coursier, Macrin se dirigea en hâte vers l’Asie Mineure.
Il gagna rapidement la Cilicie puis, de là, traversa les provinces de Cappadoce et de Galatie au rythme effréné de quarante milles par jour.
Ce fut pour lui un véritable exploit car il ne pouvait d’ordinaire tenir à cheval que peu de temps. Le désir de vengeance, tout autant que la peur, réussirent à lui faire accomplir ce prodige.
Après une semaine à galoper à bride abattue, sans presque rien manger, si ce n’est d’infâmes bouillies, sans dormir, prenant seulement un peu de repos sur une paillasse infestée de punaises dans des relais miteux, il parvint enfin en Bithynie, en bordure de la Propontide (60) .
Il abandonna son cheval, qu’il avait mené jusqu’à l’épuisement, et s’acheta une place sur un bateau marchand qui s’apprêtait à quitter Nicomédie (61) pour Byzance. Il embarqua sous le nom de Lucius Pauperius.
Lorsqu’au petit matin du neuvième jour de son épuisant périple, le navire aux flancs arrondis, rempli d’amphores, s’avança sur une mer d’huile, Macrin, vidé par sa course folle, remercia les dieux de l’avoir sauvé.
— Où vas-tu ? demanda le gubernator (62) .
— En Italie, répondit le fugitif.
— Rome ?
— Non, mentit Macrin. Je rentre chez moi, à Préneste.
— Tu as l’air épuisé, déclara encore le capitaine en jetant un coup d’œil sur la mine et la tenue de Macrin.
Le visage du vieil homme était sale et atrocement émacié. Ses yeux, qui formaient comme deux évidements horribles, lui donnaient l’air d’un spectre.
— Je n’ai plus l’âge de voyager, répondit Macrin d’une voix lasse, en s’appuyant sur le bâton qu’il avait trouvé en chemin et qui soutenait son corps rompu.
— Bah ! fit le capitaine. Les vents sont favorables. Dans peu de
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