Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
l’adolescent fantasque, une fébrilité inquiétante.
Varius fut bientôt envahi d’un tel sentiment de puissance, d’une telle ardeur de vivre et de jouir, que pas une journée ne passa sans qu’il eût à l’esprit une innovation originale, un coup d’éclat sans précédent, sans qu’il ne s’exaltât pour une idée délirante qui manifestait sa grandeur et sa magnificence royale. Revigoré par l’impression qu’il était enfin délivré de ses angoisses et de ses ombres, réanimé par la perspective de projets éblouissants, il affichait désormais une forme superbe.
Bien sûr, ces fameux projets n’avaient aucun rapport avec une vision politique concrète ou rien qui touchât de près ou de loin aux affaires de l’État. Ils consistaient essentiellement en l’organisation de fêtes et de somptueuses orgies. Repris par la fièvre des plaisirs et des provocations, l’adolescent se mit en tête d’inventer des festins dans lesquels le raffinement le disputerait au plus mauvais goût. Convaincu que sa supériorité ne pouvait s’exprimer autrement que par une existence parfaitement oisive et des largesses outrancières, il débuta une existence de satrape, organisant des réceptions d’un luxe inouï, multipliant à ces occasions les plaisanteries les plus loufoques et les exhibitions les plus scabreuses.
Tout au long de l’été, il organisa des banquets sur des thèmes colorés, un jour vert, le lendemain rose, un autre jour bleu, et ainsi de suite, avec, pour chaque journée estivale, une couleur différente. Il exigea que les lits de table soient recouverts de fourrure de lièvre et de coussins garnis de duvet de perdrix, que les salles du palais soient jonchées de fleurs, que les esclaves remplissent ses piscines tantôt avec du vin, tantôt avec de l’eau de mer, afin qu’il pût nager entouré de poissons exotiques.
S’inspirant des recettes du célèbre Apicius, le gastronome de Tibère, il se mit à délecter, chaque jour, sa petite clique de parasites syriens des plats les plus stupéfiants et les plus coûteux qu’on puisse imaginer : des sabots de chameau, des crêtes et des testicules de coq, des langues de rossignol, des têtes de paon, des cervelles de perroquet et de flamant rose. Des autruches étaient présentées à ses courtisans parées de leurs plumes et farcies de centaines de petites cailles, des panthères étaient servies, étalées sur un lit de truffes, avec un bouquet d’herbes odorantes dans les narines.
Au cours de ces fabuleux et incroyables repas, ses farces et ses espiègleries ne surprenaient pas moins que ses cadeaux.
Il lui arrivait de manifester sa générosité à l’égard de ses amis par la distribution de présents aussi dispendieux que pervers. Tel courtisan recevait un magnifique vêtement de soie ou un coûteux cheval de course, tel autre, moins chanceux, gagnait une souris ou se voyait contraint d’honorer, devant tous les invités, une vieille Éthiopienne édentée, Varius prétendant avec une effronterie puérile que c’était là une rare beauté qu’il avait achetée à prix d’or pour le plaisir de son hôte. Il se faisait amener, sur des plats d’argent, des bossus difformes nappés de sauce au garum (83) ou de moutarde et, sitôt après leur humiliante exhibition, les laissait repartir avec mille pièces d’or et toutes les cuillers de la vaisselle impériale.
Cédant à son goût immodéré pour les joyaux, il s’amusait à consteller les ailes mordorées des faisans de petites pierres précieuses, faisait saupoudrer les écailles nacrées des poissons de poussière d’argent, ordonnait que les fèves soient mélangées avec de l’ambre et le riz avec des perles rares.
Une autre de ses fantaisies fut de se constituer une véritable ménagerie au Palatin. À cet effet, il se fit rapporter toutes sortes de bêtes sauvages des provinces d’Asie et des contrées les plus reculées d’Afrique. Il eut bientôt en sa possession des serpents d’Égypte, des hippopotames, des crocodiles du Nil, un rhinocéros, des tigres, des léopards. Et l’enfant prodigue exigea naturellement qu’on régalât ses animaux des mets les plus recherchés, comme il le faisait pour ses courtisans : foie d’oie au miel, raisins de Damas, laitance de murène…
CHAPITRE XIII
Alors qu’un après-midi il s’amusait à déambuler à travers le palais sur un char attelé à deux gros lions domestiqués, Varius surprit ses serviteurs en train
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