Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
fouler le sol impur des mortels.
Puis, dans un frou-frou de soie, il se dirigea vers une prostituée qui tenait l’angle de la rue. Dans une tunique courte en linon, la fille ressemblait à une biche mal nourrie, avec son visage hâve, sa poitrine creuse et ses côtes saillantes. Varius jeta un coup d’œil sur l’entrée de la cellule crasseuse où manifestement la dame emmenait ses clients, et qu’elle avait voilée d’un bout de rideau rapiécé.
— Combien d’hommes reçois-tu par jour ? interrogea l’empereur, vivement intéressé.
La lupa (86) bredouilla une réponse incompréhensible.
— Plus de dix ? Vingt ? Entre vingt et cinquante ?
— J’sais pas compter, avoua la fille publique.
Il la dévisagea d’un air perplexe, des pieds à la tête. Elle n’était pas plus épaisse qu’un brin de paille. La pauvre fille, bien qu’elle n’ait pas dépassé les trente ans, portait sur son corps tous les stigmates peu ragoûtants de la misère, de la malnutrition et des maladies.
— De quelle façon attires-tu les hommes, avec si peu d’appas ?
Comme elle ne semblait pas comprendre le sens de sa question, il insista :
— Comment t’y prends-tu pour entraîner tes clients à l’intérieur ? Remues-tu de la croupe quand ils passent devant toi ? Fais-tu des signes suggestifs avec ta bouche ?
La louve désigna du doigt un panneau de bois accroché au-dessus du rideau, devant l’entrée de sa misérable loge, et sur lequel était peinte une image érotique. Le dessin représentait un homme debout, une femme agenouillée devant lui, ce qui en disait assez sur la spécialité de la dame.
— Alors ? dit encore Varius. Combien gagnes-tu en une journée ?
Elle montra la somme sur ses doigts décharnés.
— Mais je garde pas l’argent pour moi, précisa-t-elle. Je le donne au leno (87) .
Et sur ce, comme si elle regrettait déjà ses paroles, elle chercha d’un regard vaguement apeuré, dans la foule des crève-la-faim qui l’entouraient, la silhouette de son maquereau.
— Le charognard ! murmura-t-elle en se penchant vers l’empereur qui fermait les narines pour se défendre contre son odeur aigre de sueur. Toujours à me prendre mon argent !
L’adolescent lui tendit un aureus et lui adressa un clin d’œil :
— Tiens, dit-il comme une cachotterie, prends. Personne ne doit le savoir, mais c’est un cadeau d’Antonin.
* * *
— Pourquoi y a-t-il tant de pauvres dans ma ville ?
— Je suppose que c’est dans l’ordre des choses, répondit évasivement Valerius Comazon. Il y a des pauvres partout, même dans les plus belles cités du monde.
— Tu supposes ? répéta Varius avec un mouvement d’humeur. Est-ce pour cela que ma grand-mère t’a promu praefectus urbis ? Pour me donner des explications aussi bêtes ?
Après avoir été nommé préfet du prétoire, Valerius Comazon, en effet, s’était vu élevé récemment par Maesa à la préfecture de la ville. À ce titre, il avait désormais pour mission d’assurer la sécurité de Rome. Mais le préfet de la ville étant traditionnellement choisi parmi les sénateurs consulaires, la princesse avait, du même coup, offert à son fidèle ami le consulat, c’est-à-dire la magistrature suprême.
— Ces gens ne meurent pas de faim, répliqua Comazon en ravalant sa fierté. Ils bénéficient régulièrement des largesses de l’annone (88) .
— Cela ne semble pas suffire pour remplir leur ventre creux.
L’adolescent frappa dans ses mains et un esclave à la peau d’ébène accourut aussitôt, tenant un linge brodé et un long vase empli d’eau fraîche, avec laquelle il lui baigna les tempes et les bras.
— Varius Bassianus veut que son peuple mange plus et mieux, déclara l’adolescent. Il ne peut souffrir que ses pauvres se sustentent d’infâmes bouillies et de pain noir.
C’était la première fois que Comazon entendait l’adolescent parler de lui-même aussi pompeusement. « Encore une lubie…», pensa-t-il en gardant néanmoins un silence respectueux.
— L’empereur ordonne que demain on fasse une distribution au peuple.
— Que doit-on distribuer ? interrogea le préfet en s’inclinant. Du blé ?
Varius lui répondit par une grimace irritée.
— Non, fit-il en s’allongeant sur ses coussins. Des vases emplis de pièces d’or, ainsi que des morceaux de bœuf bien gras, des ânes, des cerfs, des poulets et, bien sûr… des friandises !
Et il accompagna
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