Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
ajouta-t-elle, n’oublie pas qu’aux audiences, aux procès, aux réunions du Sénat, à l’administration de la ville, s’ajoute le soin de contrôler la gestion des gouverneurs et des procurateurs dans les provinces, c’est-à-dire qu’il te faudra lire tous les rapports, tout le courrier que ceux-ci ne manqueront pas de te faire parvenir, tous les jours de l’année, des quatre coins de l’Empire. Et il va sans dire que tu devras obligatoirement répondre à ces lettres. Il te faudra enfin surveiller le travail des préfets, des administrateurs et de tous les fonctionnaires impériaux.
— C’est fini ?
Avec une douceur hypocrite, Maesa enfonça le clou :
— Non, bien sûr. Que vas-tu t’imaginer ? Cela n’est qu’un court inventaire des responsabilités que l’on t’a confiées. Tout ce que je viens de t’énumérer ne représente qu’une partie des devoirs de ta charge. Un travail institutionnel et purement administratif. Il convient de ne pas oublier que tu as aussi des occupations plus élevées.
— Lesquelles ?
— Tu n’es pas seulement le premier sénateur et le premier magistrat de Rome. Ton rôle consiste aussi, et surtout, à rester le maître du jeu politique.
— Je ne comprends pas, avoua Varius piteusement.
— Tu auras à surveiller à chaque instant et sans relâche les sénateurs, l’armée et la plèbe, ainsi que les élites des provinces romaines.
— Mais pourquoi devrais-je surveiller ces gens ?
— Pour te maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, mon cher enfant. C’est ce que Tibère appelait « tenir le loup par les oreilles ».
À présent Varius tortillait nerveusement une mèche de ses cheveux blonds, autour de son doigt.
— La tâche est écrasante, mon petit, mais personne n’a jamais prétendu que le métier d’empereur était agréable ou de tout repos.
Il s’effondra sur le lit, comme s’il était déjà recru de fatigue.
— N’y a-t-il personne pour faire cela à ma place ? demanda-t-il d’une voix lasse.
— Certes, ricana Maesa. Les prétendants au trône ne manquent pas.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, se reprit Varius. N’y a-t-il personne pour m’aider à accomplir toutes ces choses ? Toi, par exemple ?
La vieille Syrienne s’inclina de bonne grâce, mais pas trop.
— Je serais ravie de te rendre ce service, mon enfant. Mais je ne voudrais pas que tu me le reproches par la suite.
Après une très brève méditation, Varius haussa les épaules.
— Le gouvernement de Rome ne m’intéresse pas le moins du monde, déclara-t-il. Je te confie le soin de t’occuper des affaires publiques, grand-mère. Fais comme bon te semblera, nomme les magistrats, rends-toi à la Curie à ma place, discute des lois de l’Empire, surveille le Sénat et le limes (82) , si cela t’amuse.
Le souhait de Varius était clair et son petit discours de conclusion, une courtoise invitation à lui ficher la paix.
— Bien, répondit Maesa. Mais toi ? Que feras-tu pendant que je réglerai les affaires de l’État ?
— Ne t’inquiète pas pour moi, je saurai m’occuper.
— C’est-à-dire ?
Le jeune homme écarta les bras et les laissa retomber sur le lit, comme des branches mortes.
— Je n’y ai pas encore réfléchi, mais rassure-toi, je trouverai.
— Parfait, dit Maesa posément, sans trahir sa jubilation. Je te tiendrai informé des affaires importantes.
— Ne te donne pas cette peine, souffla Varius d’une voix de moribond. Je t’accorde toute ma confiance, grand-mère.
Soulagée et ravie que son petit-fils se dessaisît lui-même de ses prérogatives impériales, la vieille Syrienne eut un large sourire. Elle savourait enfin le goût de la victoire. Quant au nouvel empereur, elle n’eut aucun doute sur le fait que lui aussi trouvait largement son compte dans leur arrangement.
* * *
Enivrée par les responsabilités qui lui incombaient désormais par procuration, Maesa se comporta vite comme si elle eût été l’empereur de Rome lui-même, laissant Varius à son oisiveté habituelle et à ses futiles occupations, l’apathie de celui-ci lui laissant toute latitude pour prendre les décisions importantes.
Mais son répit fut de courte durée. Car le comportement de son excentrique petit-fils ne tarda pas à la rendre de nouveau inquiète.
En effet, à l’abattement des premières semaines, aux longues périodes de mélancolie et d’absence, succéda tout à coup, chez
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