Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
de rosser un garçon, à peine plus âgé que lui.
— Qu’a-t-il fait ? interrogea le jeune empereur, en arrêtant ses fauves à la hauteur du petit attroupement.
Les esclaves lui apprirent que le vaurien avait dérobé de la nourriture dans les cuisines du palais.
Varius contempla l’accusé du haut de son bige. Il avait la peau brune et ses longs cheveux crêpelés, d’un châtain foncé, couvraient des épaules faméliques.
— Pourquoi as-tu volé ces aliments ? demanda-t-il encore.
Le maigrichon, profitant de l’occasion pour se soustraire à la poigne des domestiques, fit deux pas en arrière. Il frotta son dos, là où les coups de bâton lui avaient caressé l’échine.
— Ils étaient perdus, répondit-il avec une lueur d’insolence dans les yeux. Plutôt que de les voir jeter, j’ai préféré les prendre.
— Tout ce qui est ici appartient à l’empereur. Je peux te faire fouetter à mort pour avoir dérobé mon bien.
Le coupable cligna des paupières et laissa le silence tomber dans le vestibule.
— Demande pardon ! ordonna Varius, en se tenant debout, les mains aux hanches, ou je t’offre en pâture à mes lions sacrés !
L’un des deux fauves, comme pour désapprouver cette idée saugrenue, fit entendre un long bâillement inoffensif.
— Mieux vaut être mangé que de mourir de faim, riposta l’impudent petit voleur en haussant les épaules. C’est plus rapide.
Varius, qui tolérait rarement les marques d’irrespect, accueillit pourtant celle-ci avec le sourire.
— C’est exact, dit-il. Ainsi, tu as le ventre creux ?
— Tous les jours.
— Et quel effet cela fait-il ?
L’autre, assez étonné d’être invité à converser ainsi avec l’empereur, au lieu d’être livré à ses félidés, prit tout à coup un air d’importance :
— Ça commence par des gargouillements affreux, expliqua-t-il en se touchant le ventre de la main. Puis on a des crampes d’estomac, très douloureuses. On a envie de vomir mais il n’y a rien à vomir. On a des vertiges et après, on s’évanouit.
— Et pourquoi ta famille ne te nourrit-elle pas ?
— Mes parents sont pauvres. J’ai cinq frères et sœurs, qui n’ont pas encore l’âge de travailler. Les plus petits sont encore au sein de ma mère, mais les autres doivent voler les entrailles des moutons aux portes des abattoirs.
Varius sentit son cœur s’attendrir de façon inhabituelle, mais il ne put s’empêcher néanmoins de lancer une plaisanterie facile :
— Et tu n’as pas peur de les rendre malades ? demanda-t-il en se retenant de rire. Si tes frères sont habitués à sucer des os de moutons, mes chapons au miel vont leur provoquer une indigestion qu’ils ne sont pas près d’oublier !
Son interlocuteur resta impassible, la misère des siens n’étant pas pour lui un sujet de boutade.
— Rome croule sous l’or et tu portes des pierres précieuses sur tes chaussures, répliqua-t-il avec une fougue inconsciente. On dit que tu ne mets jamais deux fois les mêmes vêtements ni les mêmes bagues, que tes piscines sont parfumées de safran, que tu poivres les vulves de truie avec des perles fines. Mais dans le Vélabre et dans le Transtévère, ton peuple marche pieds nus et mendie dans la rue. Les enfants se régalent d’un bout de pain ramassé dans les ordures, et encore, ils rendent grâce à tous les dieux quand ils en trouvent un !
Cette information jeta Varius dans des abîmes de perplexité. De leur côté, les serviteurs, choqués, s’étaient de nouveau emparés du voleur et tendaient leur bâton, prêts à le battre au sang.
Mais, contre toute attente, l’empereur leva la main pour les en dissuader.
— Prends toutes les victuailles qu’il te plaira, dit-il avec une magnanimité qui l’étonna lui-même. Et emporte une amphore de bon vin à ton père.
Le jeune garçon leva vers lui des yeux pleins de gratitude et d’étonnement.
— Je ne veux pas que mon peuple meure de faim, poursuivit Varius pour justifier cette surprenante générosité. Cela risque de me gâter la digestion chaque fois que je sortirai de table.
Puis il titilla, avec ses rênes, l’arrière-train de ses gros lions, pour les remettre en marche. Lorsque le bige s’ébranla et que les félidés avancèrent leurs pattes molles, il se tourna une dernière fois vers le petit groupe de domestiques.
Avec une vanité plus retorse que naïve, il leur lâcha, du haut de son char
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