Le Secret de l'enclos du Temple

second, maigre et noueux avec des yeux sombres profondément enfoncés sous un front proéminent, portait un sayon de gros drap.
    Tous trois étaient couverts de larges feutres noirs, sans plume. Ils s'interrompirent en voyant arriver Bauer et le visiteur que Louis reconnut aussitôt.
    — M'apportez-vous de bonnes nouvelles, monsieur Rossignol ? fit-il, en s'avançant vers lui avec une franche satisfaction.
    — Peut-être, monsieur le marquis ! sourit le gros bonhomme, épongeant à nouveau son front. Mais j'ai bien peur de vous déranger…
    — Ne vous inquiétez pas ! Rien ne pouvait me faire plus plaisir que votre visite ! Voici Michel Hardoin, qui est à la fois le charpentier et le contremaître du domaine (il désigna le géant blond). Michel est l'époux de mon intendante. C'est lui qui a tout reconstruit ici. Et monsieur est Gaspard Maurecourt, mon fermier. En arrivant, vous avez dû vous rendre compte du fantastique travail qu'il fait pour mettre les terres en culture.
    — J'ai été fort impressionné, assura Rossignol. Ayant moi-même une petite terre en Languedoc où rien ne pousse, j'aurais grandement besoin de vos conseils.
    — M. Maurecourt est à votre disposition, assura Louis en souriant. D'ailleurs, ce qu'il nous propose en ce moment peut vous intéresser. Il voudrait que je le laisse construire une aire en bois pour battre les gerbes. Vous savez qu'après un battage sur la terre, même après avoir enlevé la paille et les gros débris au râteau, il reste encore de petites pierres mêlées aux grains. Il faut faire un second nettoyage avant de moudre et en découle une grosse perte. Sur du bois, m'a dit M. Maurecourt, il n'y aura aucun débris, et en plaçant l'aire sur ce lieu élevé exposé aux vents, les parcelles de paille seront emportées.
    — C'est habile ! Je n'y aurais jamais pensé…
    — Les gains de temps et de rendement peuvent atteindre le cinquième, intervint le fermier. On fait ainsi en Angleterre.
    Louis se tourna vers Hardoin :
    — Michel, ce que vous avez proposé afin de construire cette aire me convient, du moment que les dépenses soient limitées.
    — Ne vous inquiétez pas, monsieur.
    — Alors vous pouvez commencer. Gaspard vous précisera ce qu'il veut. Je vous laisse… Monsieur Rossignol, allons dans ma bibliothèque…
    Les deux hommes, suivis de Bauer, revinrent au château. Rossignol transpirait de plus en plus tant le soleil brûlait.
    — Vous avez de la chance d'avoir un tel fermier, monsieur le marquis… fit-il entre deux halètements.
    — Certainement, mais ma chance n'a pas été la sienne. Maurecourt était métayer à mi-fruit 99 près de Saint-Quentin. Il y a deux ans, lorsque le duc d'Orléans a rassemblé une armée en Picardie pour faire le siège de Courtrai, une bande de pillards a attaqué sa ferme et l'a brûlée. Il a tout perdu. Pire, il devait se marier, mais après sa ruine, la famille de sa future n'a plus voulu de lui. Son seigneur a cherché un autre métayer et il a quitté la Picardie afin de trouver du travail à Paris, comme bien des miséreux chassés par la guerre. Il a finalement échoué à l'abbaye de Royaumont, épuisé et malade, et le prieur m'a proposé de l'embaucher.
    « À peine arrivé ici, et ayant fait un premier tour, il m'a fait remarquer que nos charrues n'étaient pas bonnes et qu'il ne fallait pas utiliser des ânes pour les tirer, mais des bœufs. Pour les charrues, il m'a démontré combien elles étaient trop lourdes, ce qui fatiguait les animaux à l'attelage, et étaient mal construites, et en plus dans un mauvais bois ! Afin de limiter le frottement, le sep doit être en poirier ou en prunier et la flèche en hêtre ou en frêne, m'a-t-il affirmé. Il convenait aussi de mieux polir le sep pour réduire le frottement, et choisir du poirier pour le versoir, afin que la terre ne colle pas. Pour ne rien arranger, il m'a démontré que les sellettes de l'avant-train des charrues étaient mal positionnées. Enfin, leurs manches devaient être en bois dur, pour résister aux efforts du charretier !
    — Et qu'avez-vous fait ? sourit Rossignol, devant cette avalanche de critiques.
    — J'ai demandé à Hardoin de construire une charrue selon ses indications… et les labours sont effectivement allés deux fois plus vite ! sourit Louis.
    — Pourquoi les bœufs seraient-ils préférables aux ânes ? demanda Rossignol, après avoir digéré toutes ces explications.
    — Les bœufs