Le Secret de l'enclos du Temple
Finalement, il lâcha avec une sorte d'appréhension :
— Pour toi…
Elle resta interdite. Ce n'était pas la réponse qu'elle attendait.
— Pour moi ?
— Oui, rougit-il. Si je refuse, tu resteras l'épouse d'un obscur magistrat. Je n'ai aucun titre, sinon celui d'écuyer par ma naissance. Au service d'Orléans, je pourrais accéder à un rang autrement plus prestigieux. Tu pourrais devenir marquise, baronne, ou même, pourquoi pas, duchesse ? Tu serais reçue à la Cour. Si je reste au service de M. Séguier, je ne peux rien t'offrir comme avenir. En outre, les gages que je recevrai comme gentilhomme de la chambre seront sans commune mesure avec ceux que j'aurai au Conseil des parties. Et tu sais que nous avons besoin d'argent pour trouver un logement plus grand, acheter un carrosse et engager plus de domestiques.
Ils étaient assis sur leur lit à piliers et elle se leva, fort agitée. Afin de se calmer, elle fit quelques pas jusqu'à la fenêtre avant de revenir vers Gaston avec un visage défait. Elle lui prit les mains, histoire de cacher sa détresse :
— Mais tu es un sot, monsieur mon mari ! Ne vois-tu pas ce que tu m'as déjà donné ? Je ne veux pas devenir marquise ! Je veux que tu restes l'homme que j'ai connu. Si tu hésites pour ton avenir, prends conseil auprès de Louis. Son jugement sera plus sûr que le mien, mais, surtout, ne décide rien pour me satisfaire. J'ai tout ce que je désire.
Il l'attira à lui, soulagé.
— C'est inutile, je sais déjà ce que Louis me dira !
*
Le lendemain, Gaston rencontra le chancelier et lui annonça qu'il acceptait sa proposition. Il avait vu auparavant M. Fronsac père qui avait fait avec lui les comptes de sa fortune. En comptant les cinq mille livres de M. de La Rivière, et ce qu'il restait de la somme ramenée de Provence, il disposait de vingt mille livres à l'étude. Il avait encore vingt mille livres à la banque Tallemant et dix mille en rente de l'Hôtel de Ville. Vendre une centaine d'arpents de ses terres lui rapporterait trente mille livres. Il n'aurait qu'à emprunter ce qui lui manquerait.
Le notaire lui déconseilla de se débarrasser tout de suite de ses terres. Il pouvait facilement lui prêter trente mille livres au denier vingt, et Gédéon sans doute aussi. Avec ses émoluments, il les rembourserait facilement en trois ans.
En revanche, il devrait renoncer à trouver un plus grand logement et à prendre plus de domestiques. Sur ce point, Angélique – la cousine d'Armande – était venue à leur secours : elle assurerait désormais la moitié des gages de la femme de chambre dont elle utilisait les services. Gaston proposa d'en prendre l'autre moitié à sa charge et d'employer une nouvelle aide. Pour la loger, il fut convenu qu'elle aurait un lit de sangle dans une alcôve de la bibliothèque où vivait Angélique. François, le fidèle laquais ayant défendu Armande quand elle avait été attaquée par le chef de la confrérie de l'index 97 , dirigerait toute la domesticité : le valet, la cuisinière, et les deux femmes de chambre.
Ce n'est que le surlendemain que Gaston demanda audience à M. de La Rivière. Et lui fit part de sa décision de rester magistrat, demeurant évasif sur l'avenir. L'abbé ne parut pas plus ennuyé que ça, ayant sans doute transmis la proposition sans l'approuver vraiment. Favori du duc, il n'avait aucune envie qu'un nouveau venu lui dispute la place !
*
Si Mazarin avait pensé que l'effroyable affaire du valet découpé en quartiers allait faire oublier ses édits fiscaux et la création de charges de maîtres des requêtes, il se trompait. Durant le mois de mars, la fièvre gagna tous les corps de la population, même les plus paisibles.
Le prince de Condé avait quitté la Cour et Paris. Le 16 février, le Conseil l'ayant nommé général de l'armée de Flandre, il était parti pour la Bourgogne, avant de rejoindre son armée.
M. de Bussy venait à son tour d'être avisé de gagner la Flandre, où son régiment était en route, quand, le samedi 28 mars, son oncle, le grand prieur, vint le voir dans sa nouvelle maison du Temple en compagnie d'un vieillard souriant, aux longs cheveux de neige dépassant d'un grand chapeau noir.
— Roger, laisse-moi te présenter mon voisin, M. Leboccage. Bien que bourgeois de Paris, il habite le plus souvent à la campagne près de la maison que je possède. Ce qu'il est venu me raconter, et qu'il veut te dire maintenant, est
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