Le Secret de l'enclos du Temple
incident quand, le samedi 8 août 1654, alors qu'il venait de s'évader de la prison de Nantes où Mazarin l'avait fait enfermer, son cheval devait ruer, ébloui par un rayon de soleil, et le jeter au sol, lui brisant l'épaule gauche et le laissant infirme pour la vie.
— Une femme nous a vus nous enfuir 120 , poursuivit Montrésor, mais nous étions déjà loin. Nous avons franchi le pont de Charenton sans que personne ne tente de nous arrêter bien qu'on ait tiré quelques coups de feu du donjon. Nous avons donc laissé le duc avec sa troupe et nous sommes revenus ici.
— Le duc est à l'abri ? demanda Gondi.
— Complètement ! Je lui ai fait savoir que je le préviendrais quand il pourrait rentrer à Paris et il m'a fait part de la gratitude qu'il vous porte.
Gondi sourit. Une étape capitale était franchie. Il ne lui restait qu'à soulever les Parisiens !
C'est alors qu'une idée lui vint :
— Monsieur l'abbé, dit-il à Ménage avec un sourire gourmand, ne pourrions-nous pas utiliser cette magnifique évasion pour rendre encore plus populaire notre ami M. de Beaufort ?
*
Le lundi, tandis qu'il s'apprêtait à rentrer à Mercy, Louis Fronsac apprit l'évasion du duc du château de Vincennes. L'incroyable nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre dans Paris et Germain Gaultier la lui annonça alors qu'il attelait le carrosse.
Fontrailles libéré en début d'année, Beaufort évadé, songea Louis avec inquiétude. Tout ceci ne pouvait être le fruit du hasard. Se pouvait-il que Gaston eût raison ? Qu'il se préparât quelque grande entreprise contre le roi ?
114 Henri Guénégaud, seigneur du Plessis, secrétaire d'État de la Maison du roi.
115 Voir La Ville qui n'aimait pas son roi , éditions J.-C. Lattès.
116 C'était un avocat du nom de Goiset.
117 Jacques Carpentier, abbé et prieur de plusieurs abbayes. Auteur de nombreuses mazarinades et dévoué au cardinal de Retz, il sera mêlé à toutes les intrigues de la Fronde.
118 Claude de Chouvigny, baron de Blot, lui aussi fidèle de Retz et auteur de mazarinades.
119 Au château de Vincennes, une plaque posée par les amis d'Alexandre Dumas devant le fossé marque l'emplacement de l'évasion.
120 C'était l'épouse du jardinier. Elle le prévint et il donna l'alerte.
29
A ux premiers jours de juin, revenant d'une conférence chez le prévôt de Paris domicilié non loin du couvent des Grands-Augustins, Gaston fut arrêté par un attroupement sur le Pont-Neuf. Toute une foule commentait des placards affichés devant la pompe de la Samaritaine. Il parvint à approcher suffisamment son cheval pour en lire un. L'affiche représentait la reine avec un texte de quelques mots :
Où est mon peuple ?
À la vallée de la misère !
Les gardes-françaises installés à la barrière des sergents regardaient le rassemblement, goguenards. Leur officier écoutait même les remarques des badauds, toutes hostiles à Mazarin et aux traitants, sans faire mine d'intervenir pour ôter les affiches.
Gaston poursuivit son chemin vers le Grand-Châtelet, préoccupé par le climat insurrectionnel régnant. Depuis l'évasion de Vincennes, chaque fois que des gardes françaises prenaient leur faction aux barrières de la ville, les gens se moquaient d'eux en chantonnant :
Invincible duc de Beaufort,
Que tant de vaillance accompagne !
Dans les jours qui suivirent, François, son laquais qui escortait la cuisinière et Armande aux grandes halles, lui rapporta plusieurs versions de l'incroyable invasion, chacune plus glorieuse que la précédente. La légende dorée du petit-fils d'Henri IV s'enjolivait. Ainsi, en traversant Vincennes, le duc aurait demandé à un passant son chapeau à panache blanc. S'en étant coiffé et fait reconnaître comme le petit-fils d'Henri le Grand, il aurait été acclamé par une foule en délire. Quelque temps plus tard, l'exempt La Ramée, ayant perdu sa charge comme punition de sa négligence, aurait reçu une somme du duc afin de le dédommager. Le donjon devenait même un lieu de pèlerinage pour ceux désireux de voir l'endroit où le petit-fils d'Henri IV avait vaincu le Sicilien, pourtant prévenu de son évasion. Les comédiens de rue jouaient désormais un épisode où Mazarin, représenté en Pantalon, vieux grigou, se faisait berner par le bel Arlequin. La liberté du prince, rapportaient les partisans de Gondi, annonçait le début de celle du peuple. Bientôt, Beaufort se
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