Le Secret de l'enclos du Temple
Gondi.
— Il va surtout s'empresser de retrouver celui de la Montbazon ! ricana Ménage qui ne pouvait se retenir de faire un bon mot.
Le regard de Gondi s'obscurcit un instant. Mme de Montbazon, l'ancienne maîtresse de Beaufort, avait longtemps gouverné le duc. Colosse d'une extraordinaire beauté, ayant moitié plus de tétons qu'il n'en faut selon Tallemant des Réaux, elle avait été la maîtresse de tous les grands et Beaufort en était toujours amoureux fou, bien qu'elle l'eût abandonné pour le duc de Guise durant son emprisonnement.
— Cette femme n'a aucun esprit, répliqua finalement le coadjuteur. Elle n'aime que son plaisir et son intérêt, n'a aucun respect pour la vertu et manque perpétuellement d'argent. Ne dit-on pas que cinq cents écus lui font lever sa chemise ? Il me sera d'autant plus aisé de l'acheter que je ne lui demanderai pas ce que les autres exigent.
Chacun sourit.
— Je compte surtout sur Montrésor. Ami de Beaufort, il fera tout pour construire une solide union entre le duc et moi.
— Mais comment utiliserez-vous Beaufort ? demanda Joly.
— J'ai besoin d'un homme qui soit capable d'entraîner les Parisiens et que je puisse mettre devant moi, pour me protéger. Je vous l'ai dit, je l'ai répété à Fontrailles, je veux un fantôme, et seulement un fantôme. Et si ce fantôme est le petit-fils d'Henri le Grand et parle comme les gens des Halles, c'est mieux encore ! Avec ses cheveux bien longs et bien blonds, vous ne pouvez imaginer l'effet qu'il fera aux harengères !
L'abbé Ménage approuva d'un sourire. Depuis quelques semaines, il distribuait dans les paroisses des milliers d'écus au nom du coadjuteur en racontant toujours la même histoire. Les Parisiens savaient désormais combien le coadjuteur plaignait ce pauvre duc, enfermé dans une sinistre geôle par le gredin de Sicile. Quant à MM. Joly et Miron, et à leurs amis, ils avaient jeté dans le peuple des bruits avantageux sur M. de Beaufort, en ornant de mille couleurs inventées la grandeur, le talent et la bonté du petit-fils d'Henri IV.
— Il reste encore une inquiétante éventualité, s'alarma l'abbé Ménage. Vous savez que les préparatifs de l'évasion ont pris tellement de temps et de moyens qu'un homme, voulant obtenir une récompense de Mme de Vendôme, l'a prévenue en se faisant passer pour un astrologue 116 . Et que Mazarin, qui a des espions partout, l'a su. Le cardinal aurait même appris que le jour de l'évasion était pour Pentecôte. Le gouverneur de Vincennes a dû prendre de telles précautions que l'entreprise a peut-être été impossible, ce qui expliquerait le retard de nos amis.
— Il y a quelques jours, Fontrailles a rencontré Vaugrimaut à ce sujet. De nouveaux gardes ont effectivement été envoyés par Le Tellier, mais Vaugrimaut a fait tellement de zèle que La Ramée a jugé inutile de renforcer la garde dans la cellule du duc. Aussi les hommes de Le Tellier ont été seulement mis en faction aux portes du château, le tranquillisa Gondi.
L'abbé Ménage ignorait ce dernier épisode et en fut rassuré.
*
Il n'y avait donc plus qu'à attendre. Pour passer le temps, le coadjuteur proposa à son secrétaire d'aller chercher quelques-uns des libellistes qu'on entendait chanter à tue-tête dans la grande salle du bas. Ménage revint en compagnie de l'abbé de Marigny 117 , de Jean-François Sarrasin et du baron de Blot 118 , tous trois auteurs patentés de pamphlets et de chansons contre le cardinal et la régente. Ils en déclamèrent quelques-unes bien piquantes qui détendirent les conjurés. Le baron de Blot eut même un franc succès quand il entonna ce couplet :
À la reine,
Je n'ai rien dit, ne vous déplaise,
Je vous honore infiniment
J'estime votre fondement !
Mais en même temps, les quatre hommes guettaient les moindres bruits dans la cour. À chaque roulement de voiture ou martèlement de sabots, l'abbé ou Guy Joly s'approchait de la fenêtre, espérant voir arriver Fontrailles et prêt à fuir si c'étaient des gardes de la reine. Mais il s'agissait toujours de proches et d'amis du coadjuteur.
Vers cinq heures, les trois poètes libellistes étant partis, le fracas d'une nombreuse troupe de cavaliers retentit. Ménage se précipita à nouveau, le cœur battant. Cette fois, c'étaient ceux qu'ils attendaient !
Quelques minutes plus tard, bottés et couverts de poussière, le marquis de Fontrailles et le comte de Montrésor
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