Le Secret de l'enclos du Temple
porte cochère à pilastres. Il découvrit la rue de Seine pleine d'une foule se dirigeant vers le Pont-Neuf et la plupart des boutiques fermées. Il interrogea un bourgeois pour en savoir plus.
— La reine a fait arrêter M. Broussel, monsieur ! Un homme si bon, si vertueux et si intègre ! Le seul qui nous veuille du bien !
Plusieurs voix approuvèrent avec véhémence.
— Il ne veut que le bonheur du peuple, pas comme ce maudit Sicilien !
— À mort le Sicilien ! cria quelqu'un.
— À mort ! Vive Broussel ! lancèrent d'autres voix en écho.
Fontrailles voulut aller voir. Au Pont-Neuf, il découvrit les troupes du maréchal de La Meilleraye en train de battre en retraite devant une population déchaînée. Les coups de feu n'arrêtaient pas. Il vit des hommes et des femmes tomber, atteints par la mitraille. Des fenêtres de la place Dauphine s'élevait la fumée des mousquets tirant sur les gardes du corps du roi, lesquels ripostaient au hasard.
Il n'avait jamais assisté à une telle insurrection !
Finalement, les troupes royales se retirèrent en laissant bon nombre de cadavres ; Fontrailles s'approcha d'un éclopé qui s'était dressé sur ses deux béquilles pour mieux voir. Le gueux était en compagnie de toute une bande de mendiants accablés par l'âge et les maladies, mais le marquis les connaissait pour les croiser tous les jours : il s'agissait en fait de francs-mitoux, ces larrons contrefaisant les malades.
— Tu veux gagner un louis ? demanda-t-il à l'un d'eux.
— Corne bouc ! Qui ne le voudrait, monseigneur ? répondit le mendiant en examinant l'habit de soie de celui qui l'abordait comme pour évaluer ce qu'il pourrait en tirer.
— Va dire au Grand Coesre que le marquis de Fontrailles l'attend ce soir au Petit-Maure , après la tombée de la nuit.
— Je ne connais pas de Grand Coesre, monsieur, et même si je le connaissais, je pourrais bien prendre votre louis et ne rien rapporter, railla l'autre.
— C'est vrai, approuva Fontrailles avec un sourire cruel. Mais on m'a raconté que le Grand Coesre écorchait vif ceux qui le trahissaient. Je pourrais lui dire un mot à ton sujet…
Le sourire du mendiant s'effaça rapidement.
— Préviens-le aussi que je viendrai peut-être tard. Qu'il m'attende.
Fontrailles jeta le louis par terre, s'éloigna sans se retourner et prit la direction de la porte de Nesle. Le pont était barré mais il fallait qu'il se rende absolument au Palais-Royal. Heureusement, il y avait toujours le long de la rive des barques prêtes à transporter un passager de l'autre côté de la Seine contre un demi-écu.
*
À l'intérieur du Palais-Royal, Gaston dut soutenir Séguier tant l'émotion étreignait le chancelier. Accompagnés d'un Suisse, ils longèrent les appartements du cardinal jusqu'à ceux de la reine. Ceux-ci étaient constitués d'une galerie, où se tenait le conseil d'en haut, d'un vaste cabinet, d'un oratoire, de plusieurs antichambres et d'une chambre qui, par un autre cabinet, communiquait avec les appartements de Mazarin.
En chemin, ils croisèrent un lieutenant qui commandait une vingtaine de gardes du corps. Gaston l'interrogea :
— Quelles sont les défenses du palais, monsieur, la foule est immense dehors !
— Vous n'avez pas d'inquiétude à avoir, monsieur. On a prévenu la reine que les bourgeois menaçaient les postes de garde mais M. de La Meilleraye lui a assuré qu'il terrasserait la canaille.
— M. de La Meilleraye joue au Capitan, car la canaille est bien trop nombreuse pour lui, ironisa Gaston.
— Et nous ne sommes pas au théâtre du Marais, hélas ! renchérit Séguier, toujours terrorisé.
Laissant le lieutenant déconcerté, ils entrèrent dans la galerie de la reine d'où l'on n'entendait aucun bruit extérieur. L'endroit regorgeait de monde : officiers en armes, gentilshommes, prélats, dames de la Cour, tous dans l'attente et l'inquiétude. Gaston aperçut avec surprise l'abbé Ménage, le marquis de Fontrailles et le comte de Montrésor parlant ensemble. Que faisaient-ils là ?
Le Suisse les conduisit à la porte du cabinet de la reine où se tenaient quelques officiers que le chancelier connaissait. M. Séguier s'adressa à l'un d'eux :
— Monsieur de Marly, envoyez immédiatement cinquante Suisses bien armés à mon hôtel, qui est attaqué par la populace.
Le chancelier fit ensuite signe à l'officier de service qu'il ouvre la porte. Ils entrèrent.
*
Gaston
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