Le Secret de l'enclos du Temple
redoutez quelque chose, monsieur ?
— Pour tout vous dire, j'ai hâte d'être rue du Bouloi d'où je ne compte pas sortir de la journée.
M. Séguier, petit-fils de procureur, s'était tellement enrichi sous le règne précédent, puis sous la régence, que beaucoup l'accusaient de concussion. En 1633, le prince de Condé lui avait vendu un hôtel dont l'entrée se situait rue de Grenelle-Saint-Honoré. Le chancelier avait ensuite acheté des jardins et, par une double galerie, prolongé cet édifice jusqu'à la rue du Bouloi où se trouvait désormais l'entre principale.
Le trajet se fit sans autre incident que de nombreux encombrements. Rue de Grenelle-Saint-Honoré, le carrosse entra dans la cour dont la porte fut aussitôt et soigneusement refermée. Gaston fut invité au dîner avec la duchesse de Sully, Marie Séguier – la seconde fille du chancelier, veuve du marquis de Coislin – et le frère du chancelier, l'évêque de Meaux. Il obtint un franc succès en racontant avec truculence quelques-unes de ses enquêtes.
Comme c'était la première fois que Gaston était convié à la table du ministre, il observa avec surprise combien le chancelier se préoccupait peu de savoir-vivre. Certes, Gaston ne se lavait guère, mais il avait déjà remarqué la malpropreté épouvantable de son hôte. La duchesse de Sully et l'évêque de Meaux n'étaient pas plus soigneux avec leurs mains sales, leurs croûtes de gale et leurs cheveux où couraient de gros poux. Mais c'est à table qu'ils se comportaient le plus indignement, déchirant leur viande avec leurs doigts et leurs dents, là ou Gaston avait pris l'habitude, depuis le collège de Clermont, d'utiliser fourchette et couteau.
Le repas se terminait et l'après-midi était déjà avancé, quand l'exempt du chancelier – il se nommait Picot – vint les déranger.
— Monsieur, fit-il avec une expression inquiète, il y a de grands troubles dehors. Je viens d'en être averti par un de mes amis qui arrive du Châtelet. M. de Comminges 127 a arrêté M. Broussel mais l'arrestation s'est mal passée. La fille de M. Broussel a ameuté ses voisins et le carrosse a été poursuivi. Il s'est brisé rue Neuve-Saint-Louis. Il y a eu émeute et, sans les archers présents sur place, M. de Comminges aurait été écharpé.
— Où se trouve M. Broussel en ce moment ? demanda Séguier d'une voix blanche.
— Le lieutenant des gardes de la reine a pu emprunter un autre carrosse qui passait là. Il l'aurait finalement conduit hors de Paris. On dit aussi qu'on a arrêté le président de Blancmesnil, et que le président Charton se serait échappé. Il y a beaucoup de monde dans les rues, monsieur, et toutes les boutiques sont fermées. Je viens de faire clore les portes et les fenêtres de l'hôtel. Les bateliers remontent par la place de Grève, et toute une foule arrive par ici venant des Halles.
— Ils sont armés ? interrogea Gaston.
— Oui, monsieur. Des épieux souvent, mais aussi quelques épées, des lances et des pistolets. Beaucoup ont ôté les pavés des rues pour les jeter sur les soldats. Dieu soit loué, devant la Croix-du-Trahoir, une barrière de gardes du corps les arrêtera.
— Combien de temps ? frémit Gaston, qui s'était déjà levé de table.
— J'étais opposé à ça, murmura Séguier, consterné.
On entendit alors une mousqueterie, puis des roulements de tambours.
— Monsieur le chancelier, demanda Tilly, puis-je voir par une fenêtre ce qui se passe rue Grenelle Saint-Honoré ?
— Par ici, dans cette chambre, recommanda Séguier en lui désignant une porte.
Gaston s'y rendit et regarda dehors. Des bandes se dirigeaient vers la rue Saint-Honoré. Pour l'instant, elles paraissaient plus joyeuses que redoutables. Un groupe s'arrêta pourtant devant l'hôtel et commença à jeter des pierres. Gaston s'écarta quand l'une d'elles parvint à briser un carreau.
— Combien y a-t-il d'hommes dans votre hôtel ? demanda-t-il au chancelier.
— Une vingtaine sans doute avec les valets, palefreniers et les archers du Châtelet à mes ordres.
— Vous disposez d'armes ?
Ce fut l'exempt qui répondit :
— Pas plus de dix mousquets, monsieur.
— Distribuez-les et faites-les charger. Que les gens armés se montrent aux fenêtres, ça calmera les forcenés quelque temps. Mais il faut aller quérir de l'aide. Pour l'instant, les enragés ne sont pas nombreux, mais si la foule est bloquée à la
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