Le Secret de l'enclos du Temple
remplies de placards diffamatoires. Il y avait un poteau au bout du Pont-Neuf qui, tous les matins, se trouvait rempli de vers satiriques où le respect dû aux personnes royales était impunément violé 148 .
La royauté se révélait chaque jour plus faible, les princes s'agitaient, le Parlement frondait l'autorité de l'État. La France était dans un tel état qu'il était impossible qu'elle pût subsister longtemps.
148 Écrivit Mme de Motteville.
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L e mercredi 6 janvier 1648, jour des Rois, un garde du corps du petit Louis XIV se présenta à six heures du matin au domicile de Jérôme 149 . Le Féron, le prévôt des marchands de Paris. Il apportait une lettre. Le Féron, qui venait de se lever et sortait à peine de sa chaise percée, lut la missive en passant de la stupéfaction à l'épouvante :
À nos très chers les prévôts des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris,
Très chers et bien-aimés,
Étant obligé, avec un très sensible déplaisir, à partir de notre bonne ville de Paris cette nuit même, pour ne pas demeurer exposé aux pernicieux desseins d'aucuns officiers de notre cour de parlement de Paris, lesquels ayant intelligence avec les ennemis de l'État, après avoir attenté contre notre autorité…
Après une seconde lecture pour être certain d'avoir bien compris, le prévôt resta un long moment pétrifié tant cette nouvelle s'avérait incroyable. Le roi avait quitté Paris ! Pourtant, la veille encore, lui-même avait rencontré la reine qui l'avait assuré que les rumeurs sur le départ de la Cour se révélaient sans fondement.
Ayant enfin repris ses sens, d'un ton haché, mal assuré, Le Féron posa quelques questions au garde.
— La reine a fêté les Rois, monsieur, répondit le soldat. Puis elle a couché Sa Majesté et son frère, mais à trois heures du matin elle les a fait lever et les a conduits au jardin du Palais-Royal. Des carrosses les attendaient, sous la surveillance de M. Guitaut, le capitaine des gardes, et de M. de Comminges, son lieutenant. Les voitures se sont rendues au Cours-la-Reine 150 rejoindre celle de Mgr Mazarin. Monsieur et Mgr le prince de Condé sont ensuite arrivés avec leur famille ainsi que les personnes les plus considérables de la Cour. À cette heure, ils ne doivent plus être très loin du château neuf de Saint-Germain qu'ils trouveront vide et sans feu. Excusez ma franchise, monsieur le prévôt, mais j'ai entendu dire qu'à compter d'aujourd'hui, la ville allait être l'objet de la colère du roi.
*
Dans le désespoir et la confusion, Le Féron se fit rapidement habiller et se rendit à l'Hôtel de Ville. Bien qu'il fasse encore nuit, l'information se répandait déjà à toute allure. Des groupes d'hommes et de femmes parlaient à voix basse, comme frappés de stupeur. D'autres pleuraient, ou se lamentaient. Quelques-uns, encore, chargeaient leurs biens sur des mules ou dans des carrioles. Ceux-là avaient décidé de fuir la capitale, devinant les désordres qui ne manqueraient pas de se produire. En les voyant, Le Féron pensa qu'il fallait ordonner la fermeture des portes de la ville, sinon un exode général viderait la capitale et il n'y aurait plus personne pour la défendre quand les troupes du prince de Condé apparaîtraient.
Il trouva l'Hôtel de Ville en émoi. Les conseillers et les gens du corps de ville qui arrivaient peu à peu se sentaient perdus. Certains assuraient que le roi n'était pas parti mais marchait déjà sur le Palais de justice avec huit mille chevaux, piquiers et Suisses pour arrêter les conseillers les plus insolents. Ce n'était qu'une fausse rumeur, car, très vite, la fuite de la Cour fut confirmée. Le Palais-Royal était fermé et abandonné.
*
À sept heures, Le Féron envoya quérir les échevins manquants et réunit le corps de ville à huit heures pour leur lire la lettre du roi, ainsi que deux autres courriers tout juste arrivés, l'un du duc d'Orléans et l'autre du prince de Condé. Il convoqua aussi les capitaines et colonels des archers et arbalétriers pour que les bourgeois prennent les armes afin d'empêcher le moindre désordre et veiller à ce que ni armes ni bagages ne sortent de la ville. Ensuite, avec une délégation d'échevins, il se rendit au Parlement. Il n'était pas dix heures et le tocsin retentissait maintenant dans plusieurs églises. En franchissant le pont Notre-Dame en chaise à porteurs, le groupe de notables fut arrêté par un
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