Le Secret de l'enclos du Temple
de son épouse à la Cour. Il avait aussi convaincu Mme de Vendôme de se présenter à la Grand-Chambre pour obtenir que son fils, le duc de Beaufort, soit relaxé de toute accusation et réhabilité.
*
En revanche, ce que Régus ignorait, c'est que Paul de Gondi venait de faire fâcher le duc d'Orléans et Anne d'Autriche.
En septembre, la mort de Michel Mazarin, frère du ministre, cardinal et ancien archevêque d'Aix, avait libéré un chapeau imprudemment promis par la reine à l'abbé de la Rivière, alors qu'il aurait dû revenir au prince de Conti. Le coadjuteur, par l'intermédiaire de Mme de Longueville, avait donc entrepris de faire miroiter au jeune prince tous les avantages d'un état qu'il avait jusqu'à présent refusé mais qui pourrait le conduire à devenir premier ministre. Conti, flatté, en avait accepté l'idée et exigé le chapeau que l'abbé de La Rivière voyait ainsi s'envoler.
En même temps, Gondi avait persuadé le duc d'Orléans que la reine manœuvrait contre lui. Non seulement elle ne lui avait jamais laissé exercer sa charge de lieutenant général du royaume prévue dans le testament de son frère, mais elle refusait à son fidèle La Rivière un titre qui aurait pu le conduire au sommet de l'État !
Gaston d'Orléans, convaincu de la duplicité de Mazarin et de la reine, avait exigé le retour du duc de Beaufort à la Cour et traité publiquement le cardinal de fourbe et la reine d'ingrate.
Finalement, Mazarin avait cédé et fait entrer La Rivière au Conseil royal comme ministre d'État, ce qui avait provoqué beaucoup de mécontentements.
Le seul échec du coadjuteur concernait le prince de Condé qu'il n'avait pu éloigner de la Cour. C'est que Louis de Bourbon avait compris durant les négociations de Saint-Germain que le Parlement prenait le chemin de renverser la royauté. Prince du sang, il ne voulait pas ébranler l'État, avait-il expliqué à Gondi. Et si les parlementaires poursuivaient leurs insolences, il les ramènerait à la raison, avait-il promis.
Gondi lui avait répondu que la faute en revenait au cardinal et que Paris serait un morceau de dure digestion à réduire par la force.
Cette réponse avait mis le Prince en colère :
— On ne prendra pas Paris par des mines et par des attaques, mais bien plus facilement si le pain manque huit jours !
— Cette entreprise pourrait recevoir des difficultés, avait ironisé le coadjuteur.
— Lesquelles ? Les bourgeois sortiront-ils de leurs boutiques pour livrer bataille ? avait plaisanté le Prince.
— Je reconnais qu'elle ne serait pas rude, monsieur, s'il n'y avait qu'eux…
— Qui sera avec eux ? Y serez-vous ?
Gondi ayant répondu évasivement, Condé avait insisté :
— Ne raillons point, seriez-vous assez fou pour vous embarquer avec ces gens ?
— Je ne le suis que trop, monsieur, avait avoué le coadjuteur.
— Vous vous engagez dans une mauvaise affaire, monsieur de Gondi, avait finalement assené Condé, fort sèchement.
*
En fin d'année, la ruine des finances provoqua une nouvelle querelle entre le Parlement et la Cour. Autour de Paris, les désordres causés par les gens d'armes étaient incessants. Les troupes vivaient sur la campagne et ravageaient sans vergogne. Il aurait fallu six cent mille livres pour assurer leur subsistance et la reine assurait ne pas les avoir. Afin d'y remédier, le surintendant avait proposé un traité affermissant la taille avec trois sols de remise par livre, contre les cinq sols proposés auparavant par M. d'Émery, mais, malgré cette modération, la Cour des aides avait interdit sous peine de mort de donner l'impôt aux partisans.
L'argent devenait donc de plus en plus rare. Le 9 décembre, les officiers de la maison du roi n'eurent point de table, car la reine ne payait plus leur nourriture. Et quand le roi voulut emprunter, Gondi enflamma les curés de Paris qui prêchèrent contre l'usure.
À ce désordre des hommes s'ajouta celui des éléments. Le 21 novembre de grandes neiges couvrirent la ville. Le samedi 19 décembre, le vent du nord souffla avec une violence inconnue apportant un effroyable gel. Le lundi, la neige se mit à nouveau à tomber et il gela toute la semaine de Noël.
Aux Halles de Paris, le prix du setier de froment grimpait chaque jour. Le peuple était affamé. Avant Noël, circula la rumeur que la reine allait se venger des Parisiens. Il n'y avait point de rues ni de places publiques qui ne fussent
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