Le Secret de l'enclos du Temple
château. En rampant, les deux hommes avaient récupéré sur les cadavres six pistolets, des épées et des sacs de balles et de poudre. Ils avaient aussi détaché les cuirasses et pris les casques. Tout cet équipement, remonté par des filins, complété par celui des tués saisi dans le château, équiperait de meilleure façon les gens de Mercy.
On était déjà au milieu de l'après-midi et la faim se fit sentir. Mme Hubert, la cuisinière, aidée de quelques paysannes, avait préparé une grande soupe et des bouillies de froment. Les servantes distribuèrent de grosses tranches de pain avec du lard bien gras, chacun venant à tour de rôle avaler sa soupe, sa bouillie et vider quelques verres de vin. Pendant ce temps, sur le porche, Bauer tenait conseil avec ses capitaines auxquels s'étaient joints Gaston, La Goutte et Desgrais.
— Pourquoi ne pas avoir négocié, Bauer ? demanda Louis sur un ton de reproche, convaincu qu'on aurait pu éviter le carnage.
— Vous n'auriez jamais accepté leurs conditions, monsieur.
— Qu'en savez-vous ?
— Ils voulaient trois douzaines de setiers de blé et six cochons.
— Je les aurais volontiers donnés pour éviter ces morts.
— Ils demandaient aussi notre fourrage et des chariots pour le transporter.
— On pouvait en discuter… fit Michel Hardoin.
— Ils exigeaient cinq mille écus d'or.
— Je reconnais que je ne les avais pas, grimaça Louis.
— Et toutes les femmes du château, monsieur.
Fronsac ne broncha plus. Il savait maintenant que le combat serait sans quartier.
Le Bavarois le considéra sévèrement, puis martela avec son accent guttural :
— Je voulais qu'ils fassent exactement ce qu'ils ont fait, monsieur. J'ai tué leur capitaine avec le fusil de Gaufredi, ce qui a eu deux conséquences avantageuses : ils n'ont plus de chef, sinon des lieutenants sans envergure, et ils ont voulu se venger. Or la colère est mauvaise conseillère dans les batailles. Ils ont attaqué sans réfléchir, sans mesurer notre force. Cet aveuglement coûte toujours cher !
— À nous aussi, ça a coûté cher, murmura Louis.
— C'était le prix à payer, monsieur, conclut Bauer, faisant comprendre qu'il n'y avait plus à palabrer.
— Ils ne pourront rester longtemps à nous assiéger, intervint Desgrais afin de rassurer tout le monde. À Royaumont, on a dû entendre le bruit de la bataille et partir chercher du secours.
— Sans doute, opina Gaston avec une grimace, mais il n'y a plus de chevau-légers à Chantilly. Quant à la maréchaussée, elle vient de Senlis, et ses patrouilles n'ont qu'une demi-douzaine d'hommes ; que pourront-ils faire contre cette horde ?
— Quelqu'un ira bien à Saint-Germain chercher des troupes, intervint Hardoin.
— Condé est occupé au siège de Paris. Il ne se privera pas de deux cents hommes alors qu'il manque déjà de soldats. Peu lui importe cette bande de pillards et les ravages qu'elle fait. Il y a déjà eu tant de cas comme le nôtre ! Au fait, sais-tu où ils vont, Bauer ? demanda Gaston.
— Ceux que j'ai interrogés m'ont dit venir du Wurtemberg. Mazarin a acheté deux compagnies de leurs régiments, mais eux ont déserté, car ils ne sont pas payés et qu'ils ont faim. Ils rentrent en Allemagne.
Il ajouta :
— Il faut tenir encore, monsieur. Si nous résistons suffisamment, ils bardiront ailleurs. Ils savent qu'ils ne peuvent se permettre de rester sur place.
— Ils étaient cinquante, remarqua Gaston, ils ont perdu quinze hommes. Ils vont peut-être même s'en aller ce soir.
— Ça, che ne crois pas, grimaça Bauer en secouant la tête, ce qui fit voler les quatre tresses de son épaisse barbe de droite à gauche. Regardez !
Les Allemands entouraient leur gros chariot tiré par six chevaux et en faisaient descendre quelque chose de long. À un moment, lorsque des mercenaires s'écartèrent, les assiégés virent le canon.
Ce n'était pas un gros canon, plutôt une de ces couleuvrines qu'on portait à deux et qu'on utilisait jadis durant les guerres de Religion.
Plusieurs hommes s'éloignèrent avec des haches pendant que d'autres montaient un trépied de bois qui servirait d'affût.
— Que font-ils ? demanda Louis en voyant que ceux avec les haches coupaient de petits arbres.
— Ils nous craignent maintenant, dit Gaston, et savent qu'ils ne peuvent approcher sans risque. Cette couleuvrine ne fera des dégâts que s'ils peuvent tirer de très près ;
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