Le Secret de l'enclos du Temple
demanda-t-il ? Mgr Mazarin ne lui avait donné ni les moyens d'entreprendre ce siège ni ceux de l'achever, tant le Sicilien craignait qu'il remporte une nouvelle victoire.
— Pour Monsieur le Prince, c'est une sagesse au-dessus de son âge que d'avoir refusé d'exposer l'armée du roi, confirma François de Rochechouart. D'autant que faire retraite, et manquer la conquête de Lérida, lui a certainement plus coûté que toutes les fatigues de ses campagnes passées.
François de Rochechouart, commandeur de Jars, avait longtemps été un proche de Monsieur, l'oncle du roi. Vingt ans plus tôt, il avait été arrêté durant cette fameuse conspiration qui coûta sa tête au comte de Chalais. Quelques années après, à nouveau poursuivi par Richelieu qui le jalousait, car il était l'amant de la duchesse de Chevreuse, il avait été jeté dans le plus infect cachot de la Bastille où il était resté un an privé de linge et presque de nourriture sans jamais proférer une plainte. Envoyé ensuite à Troyes pour y être jugé, il avait été condamné à subir la question et avoir la tête tranchée. Sans un murmure, il s'était laissé bander les yeux, et avait posé la tête sur le billot jusqu'au moment où Laffemas lui avait annoncé qu'il était gracié. Richelieu, n'ayant pu lui faire avouer quoi que ce soit, avait alors déclaré qu'il était un homme admirable.
C'est dire s'il était respecté. Exilé durant le reste du ministère de Richelieu, il était rentré en France avec la régence, car il avait toujours été proche de la reine et, à soixante et douze ans, d'une robuste santé, il était redouté à la Cour pour son humeur féroce envers les courtisans se courbant devant Mazarin.
— Il faut pourtant reconnaître que nos armées reculent partout, poursuivit-il. Savez-vous ce qui se chante à Paris ?
Il se leva et entonna :
— Ils reviennent, nos guerriers,
Fort peu chargés de lauriers !
Le couplet fit sourire l'assistance, et même Roger de Bussy qui déclara, en faisant signe à un valet de lui servir du vin :
— La campagne de printemps sera peut-être meilleure. J'ai une revanche à prendre, ayant dû quitter Lérida avant les autres à cause de ma fièvre quarte.
— Mais Mgr Mazarin vous donnera-t-il les moyens de vaincre les Espagnols ? objecta son oncle. Il a plus confiance dans les combinazioni que dans les armes pour nous donner la victoire.
— Il ne semble surtout pas prendre la mesure de son impopularité, remarqua avec aigreur le commandeur de Jars. L'agitation monte au Parlement, et encore plus dans les rues de Paris. J'ai rencontré récemment Monsieur, qui en est fort inquiet.
— De quoi s'agit-il ? demanda alors Roger de Rabutin qui ne s'intéressait guère à ce qui se passait dans la capitale.
— Vous savez combien l'argent manque, gaspillé par la reine qui ne refuse rien à ses amis, et rapiné par le Mazarin qui n'est qu'un nouveau Concini 2 , expliqua Souvré. Cet été, M. Particelli d'Émery, jusqu'alors contrôleur des Finances, est devenu surintendant. À peine nommé, ce coquin a poussé à l'enregistrement d'un édit pris un an plus tôt, mais que le Parlement avait écarté tant il était discutable. Cet édit augmente fortement l'octroi sur toutes les denrées qui entrent dans la ville et les bourgeois, déjà échauffés contre M. d'Émery depuis qu'il avait déclaré que la bonne foi n'était que pour les marchands, ne veulent pas en entendre parler.
— Pourtant, ce n'est pas un mauvais édit, observa le grand prieur à l'attention de son neveu. Ce droit du Tarif remplace plusieurs octrois jusqu'alors différents suivant les négoces. Les marchands en avaient accepté l'idée, car en échange on leur abandonnait la taxe sur les aisés 3 . C'est M. d'Avaux qui l'avait décidé, lorsqu'il était surintendant des Finances. L'édit était d'ailleurs en vigueur depuis plus d'un an sans que la grogne ne se soit fait sentir. Seulement, toutes les marchandises sont taxées de la même manière, environ au vingtième, même celles destinées à un usage personnel. C'est ce traitement qui a provoqué la grogne des bourgeois et des parlementaires, car ils doivent désormais payer pour faire entrer en ville le produit de leur ferme et de leurs vergers.
— Je crois que M. d'Émery est tellement détesté que même s'il proposait une bonne politique, elle serait vouée aux gémonies ! intervint en riant un des convives.
— M. Molé,
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