Le Secret de l'enclos du Temple
Bauer resta dehors avec le soldat qui les avait accompagnés.
— Monsieur Fronsac ! Si je m'attendais ! fit Rossignol en se levant péniblement de son siège pour s'avancer.
Le chef du bureau du Chiffre avait un visage épais, aux lourdes paupières d'endormi, dont une fine moustache était la seule fantaisie. Au premier regard, on le prenait facilement pour un balourd. Gédéon Tallemant, l'ami de Louis, son voisin de quartier, le surnommait d'ailleurs le Pauvre Homme. Mais si on croisait ses yeux perçants, le doute s'installait, et si on échangeait quelques mots avec lui dans le domaine des chiffres, on découvrait un maître. Il se disait capable de décoder n'importe quelle écriture secrète. Déchiffrer le rébus des templiers ne pourrait donc que le passionner, avait songé Louis.
Le bureau n'était pas grand. Instinctivement, Fronsac se rapprocha du feu qui ronronnait. Malgré ses bottes, il avait les pieds gelés.
Les deux hommes s'accolèrent avec sympathie. Rossignol approcha lui-même une chaise au marquis et lui proposa d'aller faire chercher du vin chaud.
— Merci, M. Rossignol, mais je ne vais pas vous ennuyer longtemps. Je ne suis venu que pour vous soumettre un petit problème.
En parlant, il remarqua avec plaisir que sur le mur en face de lui se trouvait la nature morte peinte par Louise Moillon. Il se demanda si son frère était toujours l'un des chiffreurs travaillant dans la pièce d'à côté 71 .
— Expliquez-moi… dit Rossignol avec gourmandise.
Écartant son manteau, Louis sortit de son pourpoint le papier sur lequel il avait recopié le texte des templiers.
— Un de mes amis a découvert ce document chez lui, expliqua-t-il en tendant le feuillet. Il pense qu'il dissimule un secret, peut-être un trésor caché…
Rossignol le prit et l'approcha du chandelier pour avoir plus de lumière.
— TRIG. FER. ARC. IN ARC. 3-4.19.2.14-6.2.20.1.16.20, lut-il. Étonnant ! De quand date ce texte ?
— Du treizième siècle. Mon ami pense que les abrégés veulent dire Triginta ferreae arcae in arcae, ou Triginta ferreae arcae in arca . Je lui ai plutôt suggéré : Triginta ferreae arcae in Arcadia . Mais nous butons sur les chiffres. Il croit que ce pourrait être un nombre de pas à faire… Mais à partir d'où ?
— Non ! fit Rossignol en secouant catégoriquement la tête. J'ai déjà vu ce genre de message codé, les chiffres sont là pour comprendre le texte.
— Que voulez-vous dire ?
— Il faut trouver la bonne combinaison. Il y a sûrement une substitution des nombres aux lettres. Pouvez-vous me le laisser ?
— Oui, mais il s'agit de quelque chose de confidentiel…
— Je ne fais que des travaux confidentiels ! sourit Rossignol en insistant sur le que . Je vous écrirai à Mercy, si je trouve quelque chose. Ou plutôt, je viendrai vous voir.
Louis, rassuré, le remercia et prit congé. Dans la galerie, il ne retrouva pas Bauer, mais le laquais lui indiqua la salle des gardes où le Bavarois l'attendait. Il vidait un grand verre de vin de Suresnes dans une petite pièce envahie par la fumée des pipes de terre des Suisses.
— Pour me réchauffer, argumenta-t-il à son maître en reprenant son espadon posé contre un mur.
*
Louis remonta en croupe sur le cheval de Bauer – une bête énorme capable de supporter le poids de plusieurs hommes ! – afin de se rendre chez FrançoisGuénault, le médecin de la reine, qui habitait non loin du Palais-Royal. Il connaissait Guénault depuis quelques années, et lui faisait confiance 72 . Reçu sans attendre, il évoqua la blessure de Voiture – le médecin avait eu connaissance du duel puisqu'on ne parlait que de ça en ville – et lui remit quelques louis pour qu'il passe examiner le blessé et vérifie si le chirurgien l'avait bien soigné.
Avec son expression habituellement désagréable, Guénault lui conseilla de passer chez un apothicaire de ses amis, rue Saint-Honoré.
— Il se trouve quasiment à l'encoignure de la rue des Poulies. Juste à côté du traiteur à l'enseigne du Louis d'Or . Prenez-lui ses confitures de rhubarbe, elles guérissent la fièvre aussi bien que le quinquina.
Le médecin avait beau être laid comme une guenon avec son visage livide et osseux et ses lèvres fines qui ne souriaient jamais, il était pourtant l'un des meilleurs de Paris. Décidé à suivre son conseil, Louis le remercia et repartit. À la demande de son maître qui craignait que l'apothicaire
Weitere Kostenlose Bücher