Le Secret de l'enclos du Temple
après avoir vu Vincent Voiture, Louis avait une autre visite à faire et son épouse rentrerait donc seule en carrosse à leur maison de la rue des Blancs-Manteaux. Quant à Bauer, toujours armé jusqu'aux dents, il suivrait le carrosse à cheval et ne quitterait pas son maître dans Paris.
À cause du mauvais temps, ils n'arrivèrent rue Saint-Thomas-du-Louvre qu'en début d'après-midi.
Vincent Voiture, pensionné de Mazarin et de Gaston d'Orléans, habitait juste en face de l'hôtel de Rambouillet un bel appartement dans une petite maison avec cour pavée qu'il louait pour sept cents livres à l'année.
La voiture des Fronsac resta dans la cour de l'hôtel de Rambouillet et, tandis que Julie allait voir sa tante, Louis se rendit à pied chez le poète. Le concierge, le connaissant, le laissa entrer. Il grimpa quatre à quatre à l'étage. C'est Barrois, le valet de chambre de Vincent, qui lui ouvrit.
— J'ai appris l'effroyable nouvelle, comment va-t-il ? demanda Fronsac, essoufflé.
— Mal, monsieur ! répondit le valet qui l'invita à le suivre dans la chambre.
Vincent était couché au fond de son lit à rideaux. Le feu dans la cheminée ne chauffait guère. La chambre, mal ventilée, sentait l'excrément, la sueur et la fièvre. Le poète, habituellement si coquet, était méconnaissable. Livide, amaigri, les cheveux cassants, fins et blanchis, le front humide, il remua à peine la tête en voyant Louis.
— Comment te sens-tu ? s'enquit Fronsac en tirant un escabeau pour s'asseoir près de lui.
— J'ai mal… à la jambe… la fièvre ne me quitte pas. Je croyais que c'était le chirurgien qui arrivait, je l'ai fait appeler…
— Quelle folie ! Te battre ainsi !
— Que ne ferais-je pour l'amour de Clarisse ? sourit tristement le poète qui ajouta dans un murmure, en relevant légèrement la tête :
Je lui jurai que je mourrais pour elle,
Et que jamais un amant plus fidèle,
Plus enflammé, ni plus constant que moi,
Ne se verrait soupirer sous sa loi…
Malgré sa tristesse, Louis ne put retenir un sourire. Même au plus mal, Voiture ne changerait jamais. Toute occasion lui était bonne pour se donner en spectacle !
— Le Pourceau ne l'aura jamais ! murmura-t-il, en faisant allusion à Chavaroche.
— Qui te soigne ?
— Barrois… J'ai aussi une servante… En ce moment, elle est chez l'apothicaire. Dès que ça ira mieux, j'irai chez des amis, ou chez mes sœurs.
— Un médecin est venu ?
— Oui, il m'a même saigné plusieurs fois. Il pense qu'il faut renouveler mon sang pour que je guérisse… Mais je commence à douter des disciples de Galien. J'aurais dû écouter Mlle Renaudot… son père a peut-être raison 70 …
Il resta un instant les yeux clos avant de demander dans un soupir :
— Tu as vu la marquise ?
— Pas encore, Julie est chez elle.
— Supplie-la de me pardonner…
Louis hocha du chef avant de dire :
— C'est elle qui m'a prévenu. Elle s'inquiétait pour toi.
Un sourire de soulagement apparut sur les lèvres du poète.
Louis demeura encore un moment, parlant à Voiture de ses terres et de sa vie à la campagne. En l'écoutant, le poète se calma et s'endormit. Avant de rejoindre son épouse, Fronsac questionna Barrois :
— Mlle Renaudot… ?
— Elle a été fort fâchée en apprenant qu'il s'était battu pour une autre. Pourtant, elle passe tous les jours prendre de ses nouvelles. Elle aurait voulu que son père l'examine, mais le médecin de monsieur s'y oppose… Mme de Sainctot est venue, elle aussi.
Cette ancienne maîtresse avait toujours su tirer quelque argent du poète en échange de ses faveurs. Sans doute était-elle inquiète pour ses futurs revenus.
*
À l'hôtel de Rambouillet, l'atmosphère se montrait tout aussi lugubre. Ils ne s'attardèrent pas. On servit à Louis une rapide collation de viandes froides et de pain, car Bauer et Nicolas avaient dîné aux cuisines, et Julie mangé avec sa tante. Il décrivit à Mme de Rambouillet et à sa fille l'état fâcheux de Vincent Voiture. Il se remettra, conclut-il avec optimisme, mais sa convalescence sera longue.
La marquise, vieillie et recroquevillée, ne put retenir ses larmes quand ils partirent. Il faisait de plus en plus froid sous un ciel gris et bas. Des écharpes de brume volaient autour d'eux. Le « palais de la magicienne », comme on surnommait jadis l'hôtel de Rambouillet, ressemblait à un immense tombeau.
Le carrosse remonta
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