Le Secret de l'enclos du Temple
ne soit fermé, Bauer pressa sa monture dans la rue Saint-Honoré. Avec la nuit qui s'approchait, le froid se faisait plus vif et le gel figeait le mélange noirâtre de boue et de crotte qui couvrait le sol ; aussi ne risquaient-ils pas d'être éclaboussés par les sabots du cheval. Même les habituelles odeurs répugnantes des déjections avaient disparu comme par enchantement. En revanche les chutes des passants étaient nombreuses, au grand rire des badauds, des marchands et des artisans encore ouverts.
Rue des Poulies, l'apothicaire était ouvert. Louis acheta plusieurs pots de confiture de rhubarbe, ainsi que d'autres confitures et fruits confits dont il savait que Voiture raffolait. La somme à payer était rondelette, mais l'apothicaire promit que son commis les porterait immédiatement chez le poète.
69 L'Énigme du clos Mazarin , éditions du Masque.
70 Les médecins se répartissaient entre partisans de Galien – et de la saignée – menés par Guy Patin et la faculté de médecine de Paris, et spagiristes, partisans des remèdes chimiques. Ceux-là suivaient les préceptes de Renaudot et de la faculté de Montpellier. En 1644, le Parlement avait enlevé à Renaudot tous ses titres, donnant raison à Guy Patin.
71 Voir La Conjecture de Fermat .
72 La première rencontre de Fronsac avec Guénault a été rapportée dans La Conjuration des Importants .
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L ouis voulait encore voir Gaston avant de rentrer, aussi prirent-ils la direction de la rue de la Verrerie. Bien qu'ayant mis ses bottes à revers, il avait les pieds gelés et, même enroulé dans son manteau, frissonnait. Plusieurs fois, il regarda avec envie des échoppes de pelletiers et de fourreurs, facilement reconnaissables à leur enseigne représentant généralement un agneau pascal avec une croix. Si ses finances s'arrangeaient – mais avec les dépenses qu'il venait de faire, elles n'en prenaient pas le chemin ! – il se promit d'acheter un jour une pelisse de loup. Julie s'en était fait faire une en renard par un pelletier de la rue du Temple et la portait tous les jours.
Enfin ils arrivèrent à l'immeuble mitoyen de la maison du marchand de porcelaine Trincard 73 où Gaston occupait quatre pièces du deuxième étage. Averti par le cordon du porche d'entrée, le concierge les fit entrer dans la cour. De là, ils grimpèrent l'escalier principal et François, le laquais de la maison, vint leur ouvrir.
Gaston était justement dans sa grande antichambre, chauffée par un feu d'enfer, assis à une table de travail. Il se leva en voyant ses visiteurs.
— Louis ! Bauer !
Les amis s'étreignirent avec affection.
— François, allez vite chercher madame ! ordonna Gaston.
— Je ne fais que passer, expliqua Louis. Julie m'attend pour souper. Je reviendrai te voir demain ou après-demain.
— Tu vas rester seulement quelques jours ? demanda Gaston, apparemment contrarié.
— Oui, sans doute… je suis venu voir Vincent qui est alité.
— Est-il malade ?
— Tu l'ignorais ? Il s'est battu en duel, jeudi, avec Chavaroche, qui lui a percé la cuisse.
— Le sotard ! Avec Armande, nous avons rejoint la Cour à Saint-Germain, le prévôt de l'Hôtel du roi souhaitant que je sois près de lui. La régente venait visiter la reine d'Angleterre, qui vit là-bas en exil, et qui est malade, donc nous ne sommes revenus qu'hier. Tu me voyais en train de lire les dossiers et les mémoires apportés en mon absence.
À ce moment, Armande entra, venant de la bibliothèque, accompagnée de sa cousine Angélique. François était déjà reparti chercher des chaises et des escabelles. Quand il revint, ils s'installèrent au plus près du feu et une servante apparut avec des bouillons et du vin chaud.
Après avoir posé son épée et son espadon contre un mur, Bauer s'assit sur un petit banc, le seul siège assez large pour lui qui fléchit néanmoins en faisant entendre un inquiétant craquement. Vexé par les éclats de rire, il se leva et préféra rester debout.
— Allez donc dans la cuisine, monsieur Bauer, l'invita Armande avec un amusement chaleureux, les bancs y sont plus solides et la cuisinière vous servira quelque chose de plus consistant que ces bouillons de poule !
Les yeux du Bavarois s'éclairèrent. Il n'attendait que cette proposition, sachant que la cuisinière de Gaston faisait des pâtés de lièvre dont il était très friand.
Autour du feu, chacun donna aux autres de ses nouvelles. Louis
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