Le secret d'Eleusis
s’autorisa un petit sourire.
— Justement, c’est là que vous entrez en scène.
II
Caché à l’orée de la forêt, Viktor observait le château des Nergadze à travers ses jumelles. Il avait l’esprit un peu embrumé ; il n’était plus tout jeune et supportait moins bien les nuits blanches.
Il n’aurait jamais pu imaginer, lorsqu’il avait obtenu son mandat, cinq heures auparavant, que tout allait se passer aussi vite. Mais il avait sous-estimé l’avantage d’avoir une ligne directe avec le palais présidentiel. Il avait oublié l’efficacité des forces spéciales lorsqu’elles étaient déployées.
Le château, incroyablement romantique dans la lumière du matin, semblait sorti tout droit d’un film. Le pont-levis était relevé et personne ne bougeait, à l’exception des gardes, qui faisaient leur ronde sur les remparts. Des nappes de brume flottaient dans les vallons. Des cygnes sauvages glissaient sur le lac et, quelque part, une huppe poussa son cri. L’endroit était extraordinairement paisible.
Pas pour longtemps.
Il existait différents moyens de démolir un homme aussi puissant qu’Ilya Nergadze. L’humiliation en faisait partie. Il aurait suffi de le filmer en train de faire quelque chose de honteux pour qu’il soit fini politiquement. C’était le plan de Viktor au départ. Le penchant d’Ilya pour les jeunes garçons était bien connu, même si le filmer en flagrant délit était plus facile à dire qu’à faire. Mais la mission de Viktor ne s’arrêtait pas là. Elle avait pour objectif de détruire l’ensemble de la famille afin d’empêcher toutes représailles. Il avait donc mis au point d’autres approches. Il était prêt depuis des semaines. Il ne lui manquait qu’un prétexte pour intervenir.
Nikortsminda était la forteresse des Nergadze. Mais c’était aussi leur talon d’Achille. Ils se considéraient à l’abri ici, inattaquables. Tous les membres du clan se rassemblaient souvent au château, alors qu’ils n’osaient pas le faire à Tbilissi. Sur leur fief, ils se croyaient au-dessus des lois. La dernière fois qu’un policier était venu, il avait été chassé à coups de fusil.
Lorsqu’il avait appris ça, Viktor s’était promis de s’en souvenir.
À travers ses jumelles, il voyait des bâches sur les remparts. On racontait qu’elles abritaient des canons destinés à défendre le château en cas d’attaques au sol ou aériennes. Il n’avait pas eu la possibilité de vérifier cette rumeur, mais il en tiendrait compte. L’arrogance dont il allait devoir faire preuve pour mettre son plan à exécution n’avait d’égale que celle des Nergadze dans leur propriété de Nikortsminda. Il eut un picotement dans la poitrine, accentué par le gilet pare-balles qu’il portait sous son vieil uniforme de police.
— Où en est le système d’écoute ? demanda-t-il.
— Il est prêt, répondit Lev.
— Et les antennes mobiles ?
— Prêtes.
— Les équipes sont en place ?
— Affirmatif. Elles l’étaient déjà il y a cinq minutes.
C’était la rapidité avec laquelle tout s’était organisé qui inquiétait Viktor. Dans la précipitation, on risquait toujours d’oublier quelque chose. Même lorsqu’on avait rassemblé une force considérable, il valait mieux profiter de l’effet de surprise. Or, le jour s’était déjà levé. Mais les élections approchaient et le chef de Viktor devenait irritable.
Lorsqu’il était entré dans la police, Viktor avait été animé d’un véritable désir de servir son pays. Il n’avait pas cherché à faire carrière. Mais avec le temps, l’ambition l’avait rattrapé. Si cette opération échouait, sa carrière était fichue. Mais s’il réussissait...
— Bien, dit-il. Allons-y !
III
Franklin avait eu l’amabilité d’héberger Knox pour la nuit. Le lendemain, il avait insisté pour le déposer à la station de métro la plus proche en vue de son petit déjeuner avec Nadia. Knox arriva sur le quai en même temps que le métro. Il se faufila dans un wagon bondé en regrettant d’être encore vêtu de sa chemise de la veille.
Il descendit à Monistariki. Devant lui, une femme perchée sur des talons extraordinairement hauts saisit la rampe de l’Escalator et s’y cramponna comme un patineur sur glace débutant. Knox arriva sur la place. Le temps était couvert ; des marchands ambulants exhibaient leurs dernières babioles, tandis que d’autres étalaient leurs
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