Le secret des enfants rouges
Delille.
— Jojo, je suis intrigué. Décrivez-moi l’homme qui a déposé la carte de visite que vous avez omis de me remettre.
— Oh ben, patron, vous en avez de bonnes, je n’ suis pas photographe, moi.
— Vous vous targuez d’écrire, vous devriez cultiver votre sens de l’observation.
— C’est la fiction qui me captive, pas la réalité ! Laissez-moi réfléchir. Il était tout ce qu’il y a de normal. Il me semble qu’il portait un melon, des lunettes, la dégaine d’un bourgeois ou d’un cogne en civil. Désagréable, avec ça.
— Je suis bien avancé. Que vous a-t-il dit au sujet de ses recherches ?
— Il voulait rencontrer M. Mori. Elles visent quoi, ses recherches ?
— La zoologie.
— Il dirige un zoo, ce loustic ? C’est quoi son nom ?
— Antoine du Houssoye, grommela Victor en s’installant au bureau où il feignit d’étudier les catalogues de la salle des ventes.
Par quel tour de passe-passe le vieux Fortunat de Vigneules était-il en possession du furoshiki ? Ce ne pouvait être lui qui avait cambriolé l’appartement de Kenji et volé la coupe ! Alors qui ? Un de ses familiers ? Mais à quelle fin ? Victor sentait qu’il avait allumé une fragile petite flamme propre à éclairer toutes ces étranges coïncidences. Il mourait d’envie de retourner rue Charlot tirer l’affaire au clair.
« Attention, tu t’exposes à rencontrer les flics, ou à être reconnu par le concierge à la jambe de bois, sans compter le cousin du Muséum qui ne manquera pas de s’étonner de ta présence. »
Incapable d’adopter une ligne de conduite, il s’empara d’un crayon et, sur un buvard, griffonna un oiseau maigre doté de pattes grêles. « Tu es aussi doué pour les déductions que pour le dessin, ça ressemble à une cigogne comme toi à… à une communiante ! »
Le gibus de travers, la lavallière dénouée flottant sur ses épaules, Fortunat de Vigneules balançait un encensoir en marmonnant des formules cabalistiques, quand il entendit des allées et venues à l’extérieur. Le crépuscule tombait, le ciel s’alourdissait de nuages. Il écarta légèrement le rideau de sa fenêtre et distingua au milieu de la cour deux sergents de ville et un homme de haute stature emmitouflé dans un dolman à brandebourgs, en train de parlementer avec le concierge. L’homme au dolman rajusta sa toque de fourrure et escalada rapidement les marches du perron.
— Sac à papier ! Un hussard de la garde flanqué de ses mouchards !
Sans lâcher son encensoir, Fortunat de Vigneules ôta ses savates, longea le vestibule, gagna en tapinois l’extrémité du couloir et risqua un œil par la porte entrouverte du grand salon.
Il vit sa fille Gabrielle alanguie sur le sofa dans la posture d’une mater dolorosa. A son côté, Lucie, sa camériste et confidente, le visage crispé, se tamponnait les paupières d’un mouchoir.
— Prostituée de Babylone ! marmotta Fortunat qui n’affectionnait guère la camériste.
Alexis Wallers et Charles Dorsel, debout devant la cheminée, faisaient face à l’homme au dolman. Celui-ci s’approcha de Gabrielle.
— Mes sincères condoléances, madame du Houssoye, je me présente, inspecteur Lecacheur. Je sais combien cette épreuve vous est douloureuse, mais je suis contraint de vous poser quelques questions, formalité élémentaire. Ainsi, votre époux a quitté le domicile vendredi dernier de bonne heure ?
— Oui, il part toujours tôt. Ce jour-là il devait récupérer un dossier au Muséum et aller séjourner quatre jours à Meudon chez le professeur Guéret. Je me suis levée à huit heures. Nous avons déjeuné.
— Nous ?
— M. Wallers, M. Dorsel, Mlle Robin et moi. Mon père s’est cloîtré. Il est très âgé, il n’a plus sa tête. Il ne supporte que la compagnie de Bertille Piot, notre cuisinière, elle lui prépare ses repas à part.
Tapi dans l’ombre, Fortunat cracha de dégoût, mais en silence.
« Ah ! Elle est belle la reconnaissance filiale ! Gâteux, moi ! Les pendards ! Ils dilapident ma fortune et m’acculent à vivre de rapines ! Et cet olibrius en dolman, qu’est-ce qu’il traficote ? »
L’inspecteur avait tiré une boîte de cachous de sa poche et la faisait machinalement passer d’une main à l’ autre.
— Qu’avez-vous fait ensuite ?
— J’avais une séance d’essayage chez… Oh, c’en est trop ! Je suis épuisée ! Lucie…
— Je suis
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