Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
se blottir dans ses bras mais se fit violence, il n’appréciait guère les effusions. Elle lui envoya un baiser et disparut.
    Sitôt la porte refermée, il sauta du lit, se drapa dans un peignoir et se laissa choir au creux d’un fauteuil. Bien qu’appartenant à une famille convertie au christianisme, Kenji s’était toujours tenu éloigné des dogmes et des rituels. Au cours des années il s’était forgé sa propre métaphysique, alliant sans effort l’expérience vécue à l’irréel, au point de ne plus distinguer parfois la différence entre les deux états. Il se plaisait à passer de longs moments en compagnie des mirages issus de son imagination, sans toutefois leur permettre de lui dicter sa conduite. Manipuler émotions et sentiments prudemment, mais accepter leur flux afin de percevoir l’indicible, était devenu une seconde nature.
    Il s’habilla sans hâte, tâta dans sa poche le carnet où il inscrivait proverbes et aphorismes. Le détail qui l’avait frappé à la relecture de la lettre de John Cavendish palpitait en lui sur un rythme binaire : Tri-nil, Trinil… Son intuition lui soufflait de se cramponner à ce nom, de se laisser entraîner à rebours vers un paysage enfoui au fond de l’une des chambres de sa mémoire.
    Il ferma les yeux et se souvint. Une expédition en charrette bâchée sous une pluie diluvienne. Un cimetière chinois près duquel on avait failli s’enliser. La réception chaleureuse dans un kampong, où les villageois, après avoir mangé de l’ampo, avaient dansé le tandak. Pati, la ravissante Javanaise qui l’avait initié à l’amour. Ses épaules et ses seins si doux, ses hanches épanouies drapées d’un sarong, sa longue chevelure torsadée piquée de fleurs. Les histoires qu’elle lui avait contées à voix basse et qui toutes concernaient le kriss, long poignard d’origine malaise supposé reconnaître le bien du mal et rendre la justice lui-même. Au chuchotement de la jeune fille se mêlait le bouillonnement du cours d’eau en crue.
    — La rivière Solo, murmura-t-il.
    Il relut les notes sur son calepin prises le matin même en parcourant Les Contrées mystérieuses et les peuples inconnus de Victor Tissot :
    « Trinil. Petit village situé au centre-nord de Java, au pied du volcan Lawu-Kukusan, sur les bords de la rivière Solo. Inondations fréquentes pendant la mousson les derniers mois de chaque année. »
    Il soupira. Jamais il n’était parvenu à oublier le fin visage de sa première maîtresse. Il n’avait pourtant passé qu’une seule nuit en sa compagnie. Quand il était reparti, à l’aube, il lui avait promis de revenir. Il ignorait qu’il allait bientôt prendre le chemin d’une île lointaine noyée sous les brouillards de la mer du Nord.
    Il se ressaisit, décrocha le récepteur du téléphone qu’il avait fait poser chez Eudoxie. Il demanda un numéro à Londres puis retourna s’asseoir. Il pensa à Iris et Joseph. Pourquoi le penchant de sa fille envers son commis le contrariait-il à ce point ? Était-ce parce que se reproduisait la situation qu’il avait vécue avec Daphné ? Son irritation ne trahissait-elle pas une souffrance personnelle projetée sur les jeunes gens ?
    Le téléphone sonna. Il informa son interlocuteur anglais de l’objet de ses recherches et lui donna l’adresse de la librairie Elzévir, désappointé. Il lui faudrait patienter jusqu’au surlendemain pour obtenir les réponses à ses questions.

 
     
     
     
     
CHAPITRE XIV
    Dimanche 17 avril
     
    Joseph traversa en sifflotant le marché des Enfants-Rouges. Des ménagères, soupçonneuses, bardées de sacs et de filets, furetaient parmi les travées. Un camelot proposait d’une voix lugubre un onguent contre les piqûres de punaises. Le temps s’était remis au beau, Joseph avait le cœur léger et se sentait plein d’allant, car Iris l’avait assuré de son amour indéfectible. Il lui semblait qu’il avait rompu les amarres avec l’immuable quotidien. Il ne put résister à l’envie d’acheter deux saucisses à une grosse femme moustachue qui insista pour lui verser une lampée d’absinthe de Pontarlier. Il refusa poliment, il devait garder la tête froide. L’estomac lesté, il tripota l’enveloppe confiée par le patron.
    « Ouvre-la », susurra le génie des limiers.
    Il obéit. C’était un catalogue de photographies destinées aux peintres et aux sculpteurs : une brochette de dames posant nues de face, de dos, de

Weitere Kostenlose Bücher