Le seigneur des Steppes
se
dit qu’il n’aurait peut-être pas dû boire autant.
— Vous avez des cartes dans cette ville ? demanda-t-il.
Des cartes des terres qui s’étendent à l’est ?
Chen Yi fut abasourdi par la perspective que le Mongol lui
ouvrait soudain. Il avait devant lui un conquérant que les nobles jin et leurs
armées corrompues ne pourraient arrêter. Il frissonna en entrevoyant un avenir
en proie aux flammes.
— Il… il y a une bibliothèque, répondit-il en
bafouillant. Jusqu’ici, elle m’était interdite. Je ne crois pas que les soldats
l’aient détruite avant de partir…
— J’ai besoin de cartes, déclara Gengis. Tu m’aideras à
les étudier ? À préparer l’anéantissement de ton empereur ?
Chen Yi avait bu autant que le khan et ses pensées
tournoyaient dans sa tête. Il songea à son fils mort, tué par des nobles qui n’accordaient
pas même un regard à un homme de basse extraction. Qu’ils brûlent tous. Que le
monde change.
— Il n’est pas mon empereur. Tout dans cette ville t’appartient,
y compris les cartes, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider. Si
tu veux des scribes pour écrire de nouvelles lois, je t’en enverrai.
Gengis eut un hochement de tête d’homme ivre.
— L’écriture, lâcha-t-il avec mépris. Elle emprisonne
les mots.
— Elle les rend réels, seigneur. Elle les fait durer.
Le lendemain de sa rencontre avec Chen Yi, Gengis se leva
avec un tel mal de tête que, de toute la journée, il ne sortit de sa yourte que
pour vomir. Il ne se rappelait plus grand-chose de ce qui s’était passé après
la sixième bouteille, mais les propos de Chen Yi lui revinrent par bribes et il
en discuta avec Kachium et Temüge. Son peuple ne connaissait que la loi du khan,
toute justice découlant du jugement d’un seul homme. Gengis aurait pu passer
toutes les heures de la journée à régler des litiges et à punir des criminels. C’était
déjà une tâche trop prenante, mais il ne pouvait permettre aux petits khans de
se remettre à l’assumer sans compromettre ce qu’il avait accompli.
Lorsqu’il donna enfin l’ordre de partir, il lui parut
étrange de quitter une ville sans que l’horizon soit en flammes derrière lui. Chen
Yi lui avait remis des cartes des terres jin jusqu’à la mer orientale, butin
plus précieux que tout ce dont ils s’étaient emparés. Si le petit homme restait
à Baotou, Lian avait accepté d’accompagner Gengis jusqu’à Yenking. Le maçon
considérait les murailles de la cité de l’empereur comme un défi à ses talents
et il avait proposé son aide au khan avant même que celui-ci la lui demande. Le
fils de Lian l’avait remplacé efficacement pendant son absence et Gengis
supposa que le maçon se voyait contraint de choisir entre suivre l’armée
mongole ou prendre une retraite paisible et fastidieuse.
La longue traversée de l’empire Jin reprit, la masse
centrale des chariots avançant lentement, toujours entourée par des dizaines de
milliers de cavaliers cherchant la moindre occasion de mériter les éloges de
leurs officiers. Gengis avait autorisé des messagers de Baotou à partir pour d’autres
villes situées sur la route des montagnes se dressant à l’ouest de Yenking et
cette décision porta rapidement ses fruits. L’empereur avait fait évacuer la
garnison de Hohhot et, faute de soldats pour leur donner courage, les habitants
de la ville se rendirent sans qu’une flèche ait été tirée puis livrèrent au
khan deux mille jeunes gens qui seraient formés aux techniques de siège et au
maniement de la pique. Chen Yi avait montré l’intérêt de l’opération en
fournissant lui-même des hommes, choisis parmi les meilleurs de Baotou, pour
accompagner les Mongols et apprendre à se battre. Certes, ils n’avaient pas de
chevaux, mais Gengis donna ces fantassins à Arslan et ils acceptèrent sans
broncher leur nouvel état.
La garnison de Jining avait refusé d’obéir à l’ordre d’évacuation
de l’empereur et les portes de la ville restèrent closes. Elle fut réduite en
cendres après que la tente noire eut été montée, le troisième jour. Trois
autres villes se rendirent ensuite sans résistance. Les hommes jeunes et forts
furent faits prisonniers et poussés devant l’armée de Gengis comme des moutons.
Ils étaient trop nombreux pour qu’on puisse les incorporer sans que les
guerriers mongols leur deviennent inférieurs en nombre. Gengis ne voulait
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