Le seigneur des Steppes
souffert de la chaleur. Un grand
nombre de bêtes avaient les paupières couvertes de croûtes jaunâtres et il
faudrait leur appliquer des onguents pour les guérir si elles parvenaient à
survivre au désert. Si endurantes fussent-elles, elles ne pouvaient se passer
de leur précieuse ration d’eau. À pied, la nouvelle nation mourrait dans ce
désert.
Du doigt, Barchuk indiqua le sol et haussa la voix par-dessus
le vent incessant.
— Vois-tu ces paillettes bleues dans le sable ? Elles
marquent le début de la dernière étape avant les monts de Yinshan. Il y a du
cuivre, ici. Nous en avons vendu aux Xixia.
— Combien de jours encore avant que nous puissions voir
ces montagnes ? demanda Gengis, qui refusait de nourrir trop d’espoirs.
Barchuk haussa les épaules avec l’impassibilité d’un Mongol.
— On ne sait au juste, mais les chevaux des marchands
xixia sont encore frais quand ils croisent notre route dans ces parages. Ce ne
doit plus être loin, maintenant.
Par-dessus son épaule, Gengis regarda la masse silencieuse
de cavaliers et de chariots. Il avait emmené dans le désert soixante mille
guerriers, autant de femmes et d’enfants. Il ne pouvait voir la fin de la
colonne, qui s’étirait sur des lieues et dont les formes se fondaient jusqu’à
ne plus faire qu’une tache sombre ondulant dans la chaleur. Ils n’avaient
presque plus d’eau. Bientôt, ils devraient abattre chèvres et moutons, ne
gardant que la viande qu’ils pourraient transporter et abandonnant le reste au
sable. Barchuk suivit le regard du Grand Khan.
— Ils souffrent, seigneur, mais avant longtemps ils
frapperont à la porte du royaume des Xixia.
Gengis eut un grognement las. C’était grâce aux
connaissances du khan des Ouïgours qu’ils avaient pénétré si loin dans ces terres
désolées, mais ils n’avaient toujours que sa parole pour croire que ce royaume
était aussi riche et fertile qu’il le prétendait. Aucun guerrier de Barchuk n’avait
été autorisé à franchir les montagnes qui bordaient le désert au sud et Gengis
ne disposait d’aucune information pour dresser ses plans d’attaque. Il avait
tout misé sur la possibilité de trouver un point faible dans les défenses jin, mais
il se demandait encore ce qu’il ferait face à une cité de pierre, haute comme
une montagne, que ses cavaliers ne pourraient que contempler avec frustration.
Sous les sabots de son cheval, le sable devint bleu-vert, avec
de larges bandes de cette étrange couleur s’étirant dans toutes les directions.
Chaque fois que la colonne faisait halte pour manger, les enfants y traçaient
des dessins avec un bâton. Gengis ne partageait pas leur émerveillement car les
réserves d’eau s’épuisaient et ils passaient leurs nuits à grelotter malgré les
pierres chaudes.
Les guerriers n’avaient pas grand-chose pour se distraire avant
de sombrer dans le sommeil. Deux fois en douze jours, on avait fait appel à
Gengis pour trancher une querelle entre des hommes que la chaleur et la soif
rendaient irascibles. Les deux fois, il avait ordonné l’exécution des coupables
pour faire clairement comprendre qu’il ne tolérerait rien qui pût troubler l’ordre
du camp. Il considérait qu’ils se trouvaient en territoire ennemi et si les
officiers n’étaient pas capables de régler une simple rixe, l’intervention du
Grand Khan se solderait par une décision impitoyable. Cette menace suffit à
empêcher la plupart des têtes chaudes de désobéir aux ordres, mais son peuple n’avait
jamais été facile à gouverner et trop d’heures silencieuses accentuaient son
indiscipline.
L’aube du quatorzième jour ramena une fois de plus une
chaleur accablante. Gengis ne put que grimacer en rejetant ses couvertures et
en éparpillant les pierres que ses serviteurs ramasseraient pour la nuit
suivante. Il avait le corps raide et fatigué ; la pellicule de sable qui
recouvrait sa peau lui donnait des démangeaisons. Quand le petit Djötchi, qui
jouait avec ses frères, se jeta dans ses jambes, il le gifla durement et l’enfant
en pleurs alla se faire consoler par sa mère. Tous étaient irritables, par
cette chaleur, et seules les promesses de Barchuk d’une plaine verte et d’une
rivière leur faisaient garder les yeux sur l’horizon.
Le seizième jour, un alignement de collines noires apparut
devant eux. Alentour, le sol était presque vert de cuivre et des rochers noirs
le perçaient comme des lames tranchantes. Dans
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