Le seigneur des Steppes
disait.
— Au sud s’étend le grand désert, poursuivit-il. Nous
le traverserons avec une rapidité que les royaumes jin ne peuvent imaginer. Nous
fondrons sur eux comme le loup sur l’agneau et ils détaleront devant nos sabres
et nos arcs. Je vous donnerai leurs richesses et leurs femmes. Je planterai
là-bas mon étendard et ferai trembler le sol. La mère terre saura que ses fils
ont trouvé leur héritage et se réjouira d’entendre le tonnerre dans la plaine.
La foule rugit de nouveau et Gengis, quoique ravi, leva les
bras pour réclamer le silence.
— Nous emporterons l’eau nécessaire pour franchir les
terres desséchées, nous frapperons par surprise et nous ne nous arrêterons qu’une
fois arrivés à la mer. C’est moi Gengis qui vous le dis, et ma parole est de
fer.
Sous les acclamations, il fit signe à Khasar, qui lui tendit
un lourd bâton en bois de bouleau argenté auquel on avait accroché huit queues
de cheval teintes. Un murmure parcourut la foule. Une noire pour les Merkits, une
rouge pour les Naïmans, mêlées aux autres. Chacune avait orné l’étendard du
khan de l’une des grandes tribus que Gengis avait rassemblées dans la plaine. Quand
Gengis saisit le bâton, Khasar lui présenta une queue de cheval teinte du bleu
des Ouïgours.
De ses doigts agiles, Gengis accrocha la dernière queue avec
les autres et planta le bâton dans un trou du bois, à ses pieds. Le vent se
prit dans ce nouvel étendard coloré et les queues fouettèrent l’air comme si
elles appartenaient encore à un cheval.
— J’ai uni les couleurs ! clama Gengis. Lorsque le
temps les aura blanchies, il n’y aura plus de différence entre elles. Elles
seront l’étendard d’un peuple.
Ses officiers brandirent leurs sabres et tout l’ost, emporté,
fit de même. Des milliers de lames piquèrent le ciel. Le grondement mit
longtemps à s’éteindre bien que Gengis tapotât l’air de sa main libre pour
réclamer de nouveau le silence.
— Le serment que vous allez prêter vous engage, mes
frères. Il n’est cependant pas plus fort que le sang qui nous lie déjà. Agenouillez-vous
devant moi.
Les guerriers des premiers rangs mirent aussitôt un genou en
terre, le reste suivit par vagues gagnant l’arrière. Gengis guetta des signes d’hésitation,
n’en vit aucun. Il les avait tous gagnés à lui.
Kökötchu remonta sur la plateforme de la yourte en s’efforçant
de garder un visage impassible. Même dans ses rêves les plus ambitieux, il n’avait
jamais imaginé un tel moment. Temüge avait parlé pour lui à son frère et le
chamane se félicitait d’être parvenu à amener le jeune homme à faire cette
suggestion.
Devant les guerriers agenouillés, Kökötchu savourait son
nouveau statut. Il se demanda si Gengis s’était rendu compte qu’il serait le
seul à ne pas prêter serment. Khasar, Kachium et Temüge étaient agenouillés
dans l’herbe avec les autres, les chefs comme les simples guerriers.
— Sous un seul khan, nous sommes une nation, lança le
chamane par-dessus les têtes, le cœur battant d’excitation.
Les mots lui revinrent en écho quand les rangs successifs de
guerriers les répétèrent.
— Je vous offre des yourtes, des chevaux, du sel et du
sang, le tout dans l’honneur.
Agrippé à la balustrade de la plateforme, Kökötchu les
écoutait. Désormais, tous connaîtraient le chamane du Grand Khan. Porté par la
houle des mots provenant de plus en plus loin, il leva les yeux. Sous ce ciel
clair, les esprits devaient se trémousser de joie, invisibles et inaccessibles
pour tous à l’exception des plus puissants des chamanes. Dans les mots scandés
par des milliers de bouches, Kökötchu sentait ces esprits tourbillonner dans l’air
et il exultait. Quand enfin les guerriers se turent, il lâcha une longue
expiration.
— À toi, maintenant, murmura Gengis derrière lui.
Kökötchu sursauta de surprise avant de tomber à genoux et de
réciter le même serment. Lorsqu’il redescendit auprès des autres, Gengis
dégaina le sabre de son père. Ceux qui se trouvaient à proximité purent voir
ses yeux luire de satisfaction quand il proclama :
— C’est fait. Nous sommes une nation. Ce soir, qu’aucun
de nous ne se lamente en songeant à son ancienne tribu. Nous sommes une famille
plus grande et le monde est à nous.
Il laissa son bras retomber quand ils poussèrent un cri, cette
fois tous ensemble. Le vent portait vers lui une forte odeur de
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