Le seigneur des Steppes
leur ombre, des lichens et des
broussailles parvenaient à survivre et, dans la matinée, les chasseurs
rapportèrent des lièvres et des campagnols pris dans les collets posés la
veille. L’humeur générale se fit un peu moins sombre mais ils souffraient
toujours de la soif et nombre d’entre eux, les enfants en particulier, avaient
encore les yeux irrités. Malgré la fatigue de ses hommes, Gengis doubla les
patrouilles autour du gros de l’armée et fit reprendre l’entraînement à l’arc
et au sabre. Amaigris, les guerriers s’exécutèrent en montrant une endurance
obstinée, tous résolus à ne pas faillir sous les yeux du Grand Khan. Lentement,
imperceptiblement, le rythme de leur progression s’accrut de nouveau, les
chariots les plus lourds glissant vers l’arrière.
Lorsqu’ils furent à proximité des collines, Gengis s’aperçut
qu’elles étaient beaucoup plus hautes qu’il ne l’avait cru. Elles étaient de
cette même roche noire qui surgissait du sable autour d’eux. Leurs parois
escarpées empêchaient de les gravir et il comprit qu’ils devraient trouver une
passe pour les franchir s’ils ne voulaient pas être condamnés à les contourner
sur toute leur longueur. Avec des réserves d’eau presque épuisées, les chariots
étaient plus légers mais Gengis savait qu’ils devaient trouver rapidement la
vallée de Barchuk s’ils voulaient rester en vie. Les tribus l’avaient accepté
comme chef, mais si les hommes commençaient à croire qu’il les conduisait à la
mort, ils se vengeraient pendant qu’ils en avaient encore la force. Il
chevauchait droit sur sa selle, la bouche endolorie. Derrière lui, les
guerriers marmonnaient sombrement.
Kachium et Khasar clignaient des yeux dans la brume de
chaleur au pied des collines. Avec deux des éclaireurs, ils avaient galopé
devant le gros des troupes pour chercher une passe. Les éclaireurs
connaissaient le désert et la vue perçante de l’un d’eux avait repéré une
brèche prometteuse entre deux pics. Cela s’annonçait plutôt bien puisque la
paroi abrupte faisait place à une gorge étroite dans laquelle les sabots des
quatre montures résonnaient. De chaque côté, les rochers montaient vers le ciel,
trop hauts pour qu’un homme puisse les gravir, encore moins un cheval ou un
chariot. Il ne fallait pas être un grand pisteur pour voir que l’usure du sol
indiquait un large chemin, aussi le petit groupe se lança-t-il au galop, sûr de
pouvoir rapporter au khan l’existence d’un passage menant au royaume xixia.
Au sortir d’un coude, les éclaireurs stupéfaits durent tirer
de toutes leurs forces sur la bride de leurs chevaux. La gorge était bloquée
par une haute paroi, de la même roche noire que les collines. Chacun des blocs
qui la composaient était à lui seul trop lourd pour qu’on pût le soulever, et
cette paroi semblait des plus étranges. De par ses lignes nettes, sa surface
lisse, elle était manifestement l’œuvre de l’homme, mais avec des dimensions qu’ils
ne connaissaient qu’aux montagnes. À sa base se trouvait la preuve définitive
qu’elle n’était pas naturelle : une porte de bois et de fer noir, ancienne
et solide.
— Regardez cette taille ! s’exclama Kachium en
secouant la tête. Comment passer ?
Les éclaireurs haussèrent les épaules, Khasar siffla
doucement entre ses dents.
— Ce serait facile de nous prendre au piège dans ce
lieu sans vie. Il faut vite prévenir Gengis avant qu’il nous suive et s’y
engage.
— Il voudra savoir s’il y a des guerriers là-haut. Tu
le connais.
Khasar inspecta les pentes escarpées de chaque côté et se
sentit soudain vulnérable en imaginant des hommes jetant des rochers sur eux de
là-haut. Un piège sans issue. Les éclaireurs, guerriers kereyits avant que
Gengis ne revendique leur tribu, attendaient les ordres, impassibles, en
tâchant de cacher qu’ils étaient impressionnés par la hauteur de la muraille.
— On l’a peut-être construite uniquement pour barrer le
passage à une armée venant du désert, dit Khasar à son frère. Elle n’est
peut-être pas gardée.
Alors même qu’il émettait cette hypothèse, l’un des
éclaireurs tendit le bras pour diriger leurs regards vers une petite silhouette
bougeant en haut du mur. Ce ne pouvait être qu’un soldat et Khasar sentit son
cœur se serrer. S’il existait une autre passe, Barchuk ne la connaissait pas, et
le temps de trouver un moyen de franchir
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