Le seigneur des Steppes
d’avoir
fini de détruire le dernier canal. Les journées chaudes avaient fait fondre la
neige des pics et Gengis n’avait pas vraiment réfléchi à l’endroit où toute
cette eau s’écoulerait si elle n’était pas canalisée vers la ville et les
champs.
Le troisième jour à midi, même le sol légèrement en pente
devint boueux, et bien que les champs fussent inondés, l’eau continuait à
monter. Gengis voyait ses généraux sourire de l’erreur commise. D’abord la
chasse fut excellente car les hommes pouvaient tirer facilement le petit gibier
qui pataugeait non loin d’eux. Ils ramenèrent au camp des centaines de lièvres
en tas de fourrure trempée mais, ensuite, l’eau menaça d’envahir les yourtes. Gengis
fût forcé de déplacer le camp à plusieurs lieues au nord avant que la plaine
soit totalement sous les eaux.
Le soir venu les trouva installés à un endroit situé
au-dessus du système d’irrigation, là où le sol était encore sec. La ville de
Yinchuan était une tache sombre au loin, séparée d’eux par un lac qui n’avait
pas plus d’un pied de profondeur et que le soleil couchant transformait en un
immense miroir doré.
Gengis était assis sur les marches menant à sa yourte quand
Khasar approcha, le visage sans expression. Personne d’autre n’avait osé dire
quoi que ce soit au khan mais, pour l’heure, les visages tendus étaient nombreux
autour des feux. Les hommes aimaient plaisanter, cependant, et être contraints
de quitter une plaine qu’ils avaient eux-mêmes inondée titillait leur humour.
Khasar suivit le regard irrité de son frère jusqu’à l’étendue
d’eau.
— C’est une bonne leçon, dit-il. Dois-je ordonner aux
sentinelles de guetter des nageurs ennemis qui tenteraient de s’approcher de
nous discrètement ?
Gengis regarda Khasar, la mine renfrognée. À quelques pas d’eux,
des enfants s’ébattaient au bord de l’eau, noirs d’une boue puante dans
laquelle ils se faisaient tomber tour à tour. Comme d’habitude, Djötchi et
Chatagai étaient au centre de la bande, ravis de ce nouvel aspect de la plaine
du Xixia.
— L’eau s’infiltrera dans le sol, marmonna Gengis.
— Oui, si nous détournons les rivières. Mais le sol
demeurera quelque temps trop mou pour des cavaliers. Il me semble que détruire
les canaux n’était peut-être pas le meilleur plan que nous aurions pu trouver.
Gengis vit que son frère l’observait avec une expression
malicieuse et il eut un rire bref en se levant.
— Nous apprenons, frère. Tout cela est nouveau pour
nous. La prochaine fois, nous ne détruirons pas les canaux. Es-tu satisfait ?
— Oui, répondit Khasar d’un ton enjoué. Je commençais à
croire mon frère incapable de commettre une erreur. J’ai passé une bonne
journée.
— J’en suis content pour toi.
Près de l’eau, les garçons recommencèrent à se battre. Chatagai
se jeta sur Djötchi et les deux enfants roulèrent dans la boue.
— Nous ne pouvons pas être attaqués du désert et aucune
armée ne peut parvenir à nous avec ce lac. Faisons la fête ce soir pour
célébrer notre victoire, décida Gengis.
— Ça, c’est une bonne idée, répondit Khasar avec un
sourire épanoui.
Rai Chiang agrippa les accoudoirs de son siège doré en
contemplant la plaine inondée. Les entrepôts de la ville regorgeaient de viande
salée et de grains mais avec les récoltes qui pourrissaient sur pied, ils se
videraient rapidement. Le roi retournait désespérément le problème dans sa tête.
De nombreux habitants mourraient de faim. Les gardes qu’il lui restait seraient
submergés par des meutes affamées une fois l’hiver venu et Yinchuan se
détruirait de l’intérieur.
Devant lui, l’eau s’étendait aussi loin que portait son
regard. Derrière, au sud, il y avait des champs et des bourgades que ni l’envahisseur
ni l’inondation n’avaient atteints mais ils ne suffiraient pas à nourrir le
Xixia. Rai Chiang songea aux soldats cantonnés dans ces petites villes. S’il
les rassemblait tous, il pourrait former une nouvelle armée mais il livrerait
du même coup les provinces aux brigands dès que la famine commencerait à sévir.
C’était exaspérant, il ne voyait aucune solution à ses ennuis.
Il poussa un soupir qui fit lever la tête à son Premier
ministre.
— Mon père me recommandait de veiller à ce que les
paysans aient toujours à manger, dit Rai Chiang. À l’époque, je n’ai
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