Le seigneur des Steppes
ravi.
Djötchi écarquilla les yeux de stupeur.
— Vraiment ?
Sa mère soupira.
— C’est une histoire pour un autre jour. Je ne sais pas
où Chatagai l’a entendue, mais il ferait mieux de ne pas écouter les ragots des
feux de camp.
Souriant du désarroi de son frère, Chatagai lui adressa un
hochement de tête triomphant dans le dos de sa mère. Elle le surprit avant qu’il
ait le temps de changer d’expression et lui jeta un regard irrité.
— Votre père n’est pas un simple khan des collines, reprit-elle.
Il a plus de tribus qu’il ne peut en compter sur les doigts de ses mains. Croyez-vous
qu’il les remettra à une mauviette ?
Elle se tourna vers Chatagai.
— Ou à un imbécile ? Certainement pas. Il a de
jeunes frères et tous auront des fils. Le prochain khan sera peut-être parmi
eux s’il est mécontent des hommes que vous deviendrez.
— Je suis meilleur à l’arc que quiconque, marmonna Djötchi,
tête baissée. Et mon cheval est lent uniquement parce qu’il est petit. Quand j’aurai
une monture d’homme, je serai le plus rapide.
Chatagai eut un grognement incrédule.
— Je ne parle pas de savoir faire la guerre, dit Börte,
agacée. Vous serez tous deux de grands guerriers, je l’ai vu en vous.
Avant que ses fils se rengorgent sous le compliment, elle
continua :
— Votre père voudra savoir si vous êtes capables de
mener des hommes et de réfléchir rapidement. Avez-vous vu qu’il a confié à Süböteï
le commandement de cent guerriers ? Ce garçon sort de nulle part, il n’appartient
pas à une lignée prestigieuse, mais votre père respecte son intelligence et son
habileté. Il sera mis à l’épreuve mais il pourrait bien être un jour général, commander
mille, cent mille guerriers. En ferez-vous autant ?
— Pourquoi pas ? répliqua Chatagai.
— Quand tu joues avec tes camarades, es-tu celui vers
qui ils se tournent ? Suivent-ils tes idées ou suis-tu les leurs ? Réfléchis
bien car nombreux sont ceux qui te flattent à cause de ton père. Pense à ceux
qui te respectent toi. T’écoutent-ils ?
Chatagai réfléchit en se mordant la lèvre, haussa les
épaules.
— Certains le font.
— Pourquoi te suivraient-ils si tu passes ton temps à
te battre avec ton frère ?
Le jeune garçon semblait se débattre avec des idées trop
grandes pour lui.
— En tout cas, ils ne suivent pas Djötchi. Il voudrait
bien mais ils ne le feront jamais.
En entendant ces mots, Börte sentit un froid dans sa
poitrine.
— Vraiment, mon fils ? dit-elle avec douceur. Pourquoi
ne suivraient-ils pas ton frère aîné ?
Chatagai détourna la tête, elle lui saisit le bras et serra
à lui faire mal. Il ne cria pas mais des larmes apparurent au coin de ses yeux.
— Il y a des secrets entre nous ? insista-t-elle. Pourquoi
ne suivront-ils jamais Djötchi ?
— Parce que c’est un bâtard de Tatar ! lâcha
Chatagai.
Cette fois, la gifle de Börte fut sans douceur et projeta le
garçon sur le lit, étourdi. Du sang coula de son nez et il fondit en larmes.
— Il répète ça tout le temps aux autres, dit Djötchi
derrière elle, d’une voix assourdie par la colère et le désespoir.
Réveillés par Chatagai, les deux cadets se mirent à
sangloter eux aussi, affectés par la scène sans la comprendre.
Börte prit Djötchi dans ses bras.
— Tu ne peux pas faire rentrer ces paroles dans la
bouche de ton idiot de frère, murmura-t-elle.
Elle s’écarta pour le regarder dans les yeux.
— Certains mots peuvent être un poids cruel pour un
homme s’il n’apprend pas à les ignorer. Tu devras surpasser tous les autres
pour gagner l’estime de ton père. Tu le sais, maintenant.
— Alors, c’est vrai ? dit-il d’une petite voix en
baissant la tête.
Il sentit sa mère se raidir en préparant sa réponse et se
mit à pleurer doucement.
— Ton père et moi t’avons fait dans la plaine, à des
centaines de lieues des Tatars. Il est vrai que j’ai été perdue pour lui un
certain temps… et qu’il a tué les hommes qui m’avaient enlevée, mais tu es son
fils et le mien. Son premier-né.
— Mes yeux sont différents, pourtant.
— Ceux de Bekter l’étaient aussi. Il était fils de
Yesugei, mais il avait des yeux sombres comme les tiens. Personne n’osa jamais
mettre en doute son lignage. N’y pense plus, Djötchi. Tu es le petit-fils de
Yesugei et le fils de Gengis. Tu seras khan un jour.
Tandis que Chatagai reniflait
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