Le seigneur des Steppes
présidaient aux réjouissances. Le
khan bénit une dizaine de mariages, distribua des armes et des chevaux pris
dans son propre troupeau à des guerriers qui s’étaient distingués. Les yourtes
étaient pleines de femmes enlevées dans les villages, même si toutes les épouses
n’accueillaient pas volontiers ces nouvelles venues. Plus d’une algarade entre
femmes s’étaient terminées dans le sang, les robustes Mongoles triomphant
toujours des captives de leurs maris. Kachium avait été trois fois appelé sur
le lieu d’un meurtre quand l’arkhi coulant dans les veines avait attisé les colères.
Il avait ordonné d’attacher les coupables – deux hommes et une femme –
à un poteau et de les fouetter au sang. Il se moquait des victimes mais il n’avait
pas envie que les guerriers sombrent dans une orgie de luxure et de violence. Ce
fut peut-être à cause de sa fermeté que l’humeur du camp demeurait légère alors
que les étoiles apparaissaient dans le ciel, et même si certains se
languissaient de la steppe, ils regardaient leurs chefs avec fierté.
Près de la yourte où Gengis réunissait ses généraux se
trouvait celle de sa famille, ni plus vaste ni mieux décorée qu’une autre. Tandis
qu’il acclamait les lutteurs et qu’on allumait des torches dans tout le camp, sa
femme Börte faisait manger ses quatre fils. Au crépuscule Djötchi et Chatagai, préférant
le bruit et l’excitation de la fête au sommeil, s’étaient dérobés aux appels de
leur mère. Börte avait dû envoyer trois guerriers les chercher dans les yourtes
et les ramener, se débattant encore. Les deux garçons échangeaient des regards
mauvais dans la petite tente tandis que Börte chantait pour endormir Ögödei et
le petit Tolui. La journée avait été épuisante pour eux et, bientôt, les deux
cadets rêveraient sous leurs couvertures.
Börte se tourna vers Djötchi, plissa le front en voyant son
expression renfrognée.
— Tu n’as pas mangé, petit homme, lui dit-elle.
Il renifla sans répondre et sa mère se pencha vers lui.
— Est-ce une odeur d’arkhi que je sens dans ton haleine ?
Aussitôt, le garçon changea d’attitude et ramena ses genoux contre
lui comme une barrière.
— Sûrement, intervint Chatagai, ravi de l’occasion de
voir son frère se tortiller de honte. Un des hommes lui a donné à boire et il a
vomi dans l’herbe.
— Ferme-la ! cria Djötchi en se levant d’un bond.
Börte le saisit par le bras d’une poigne assez ferme pour le
maîtriser. Chatagai sourit, satisfait.
— Il est furieux parce qu’il a cassé son arc préféré ce
matin ! s’écria Djötchi en se débattant. Lâche-moi !
Pour toute réponse, elle le gifla et le renvoya sur les
couvertures. La gifle n’était pas forte mais il porta la main à sa joue, abasourdi.
— J’ai entendu vos chamailleries toute la journée, dit-elle
avec colère. Quand comprendrez-vous que vous ne pouvez pas vous battre comme
des chiots sous les yeux des guerriers ? Pas vous. Croyez-vous que cela
plaise à votre père ? Si je lui en parle, vous…
— Ne lui dis pas, implora aussitôt Djötchi, visiblement
effrayé.
Elle se radoucit :
— Je ne lui dirai pas si vous vous conduisez bien et si
vous travaillez. Vous n’aurez rien de lui simplement parce que vous êtes ses
fils. Arslan est-il de son sang ? Ou Jelme ? Si vous êtes aptes à
commander, il vous choisira, mais n’attendez pas qu’il vous favorise au
détriment d’hommes meilleurs que vous.
Les deux garçons écoutaient attentivement et elle se rendit
compte qu’elle ne leur avait encore jamais parlé de cette façon. Voyant qu’ils
étaient suspendus à ses lèvres, elle songea à ce qu’elle pourrait leur dire
avant que leur attention soit distraite.
— Mangez en écoutant.
Ils prirent leurs assiettes et engloutirent leur viande bien
qu’elle fût froide depuis longtemps. Leurs yeux ne quittèrent pas ceux de leur
mère tandis qu’ils attendaient qu’elle poursuive.
— Je pensais que votre père vous aurait déjà expliqué
ça, murmura-t-elle. S’il était le khan d’une petite tribu, son fils aîné
pourrait espérer hériter de son sabre, de son cheval et de ses féaux. Lui-même
attendit autrefois la même chose de votre grand-père, Yesugei, même si son
frère Bekter était plus âgé.
— Qu’est-il arrivé à Bekter ? demanda Djötchi.
— Père et Kachium l’ont tué, dit Chatagai d’un ton
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