Le seigneur des Steppes
autre cérémonie.
Revenu avec Khasar pour surveiller l’opération, Chen Yi
adressa un signe de tête à Temüge. Il retournait à son poste, près de la voile,
quand il s’arrêta et se campa devant la silhouette imposante de Khasar.
— Ton marchand n’est pas un adepte de l’islam, dit-il à
Ho Sa. Les musulmans prient sans cesse et je ne l’ai encore pas vu s’agenouiller.
Ho Sa se raidit, attendit la suite.
— Mais il se bat bien, comme tu l’as dit, reprit le
capitaine. Je peux ne rien voir la nuit et le jour, comprends-tu ?
— Je comprends.
Chen Yi assena une claque sur le dos de Ho Sa, imita avec
une satisfaction évidente le claquement d’une corde d’arc et le sifflement d’une
flèche.
Ho Sa lui adressa la même question que Temüge :
— Qui étaient ces hommes ?
— Des imbéciles, et maintenant des imbéciles morts. Cela
ne te concerne pas.
— Sauf si nous sommes de nouveau attaqués avant Baotou,
répliqua Ho Sa.
— Nul homme ne connaît son destin, marchand soldat, mais
je ne crois pas. Ces hommes avaient une chance de nous dépouiller et ils l’ont
gâchée. Ils ne nous y prendront pas deux fois.
Chen Yi imita de nouveau le bruit de l’arc de Khasar et
sourit.
— Qu’est-ce qu’il y a dans ta cale, qu’ils convoitaient
tant ? demanda soudain Temüge.
Il avait préparé sa phrase avec soin mais Chen Yi parut
néanmoins surpris par les sons étranges qui sortaient de sa bouche. Temüge s’apprêtait
à répéter sa question quand le petit capitaine rétorqua :
— Ils étaient curieux, ils sont morts. Es-tu curieux ?
Le frère de Gengis rougit dans l’obscurité.
— Non, répondit-il en détournant la tête.
— Tu as de la chance d’avoir des amis qui se battent
pour toi. Je ne t’ai pas vu bouger quand nous avons été attaqués.
À défaut de saisir tous les mots, Temüge comprit le ton
méprisant, mais avant qu’il puisse trouver une réponse Chen Yi se tourna vers
Khasar et le prit par le bras.
— Toi, couverture de pute, tu veux à boire ?
Temüge vit la blancheur des dents de son frère lorsqu’il
sourit en reconnaissant le mot désignant l’alcool de riz. Chen Yi emmena Khasar
à l’avant pour fêter la victoire. Resté seul avec Ho Sa, Temüge répondit enfin :
— Nous ne sommes pas ici pour nous battre avec des
bandits du fleuve. Qu’est-ce que j’aurais pu faire, avec un poignard ?
— Repose-toi un peu si tu peux. Je ne crois pas que
nous nous arrêterons de nouveau avant quelques jours.
C’était une belle journée d’hiver dans les montagnes. Gengis
était parti à cheval avec sa femme et ses fils voir une rivière qu’il avait
connue enfant. Djötchi et Chatagai montaient leurs propres chevaux, Börte
suivait au pas avec le sien, sur lequel elle avait aussi fait asseoir Ögödei et
Tolui.
Dès qu’ils eurent quitté le camp, l’humeur de Gengis s’éclaira.
Il connaissait la terre que frappaient les sabots de sa jument et il avait été
surpris par l’émotion qui l’avait étreint au sortir du désert. Il savait que
ces montagnes exerçaient sur lui un charme puissant, mais se retrouver sur le
sol de son enfance avait fait monter à ses yeux des larmes qu’il avait aussitôt
refoulées en battant des cils.
Lorsqu’il était jeune, une telle promenade aurait comporté
un élément de danger. Des vagabonds ou des voleurs auraient pu rôder dans les
hauteurs entourant la rivière. Il en restait peut-être quelques-uns qui ne s’étaient
pas joints à lui pour aller dans le Sud, mais il avait maintenant toute une
nation à ses pieds et il n’y avait plus dans les collines ni troupeaux ni bergers.
Il descendit de cheval en souriant, vit avec approbation que
Djötchi et Chatagai attachaient les brides des leurs à un buisson. La rivière
coulait, rapide et peu profonde, au pied d’une montagne escarpée, roulait des
aiguilles de glace qui s’étaient détachées des rochers, là-haut sur les pics. En
contemplant les pentes, Gengis se rappela le jour où il avait escaladé le mont
Rouge pour rapporter des aiglons à son père. Yesugei l’avait aussi emmené au
bord de cette rivière et l’enfant qu’il était alors n’avait vu aucune
expression de joie sur le visage de son père. Il résolut de ne pas montrer lui
non plus à ses fils le plaisir qu’il éprouvait à se retrouver parmi les arbres
et les vallées qu’il connaissait si bien.
Börte ne sourit pas en posant ses deux plus
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