Le seigneur des Steppes
quelques pièces avant le coucher du
soleil. Ho Sa, qui avait observé la scène en silence, boxa un sac pour y faire
un creux où loger sa tête et tenta de trouver le sommeil.
Temüge se réveilla quand quelque chose heurta la coque du
bateau. Abruti de sommeil, il s’étira, chassa les insectes qui vrombissaient
dans l’air nocturne et marmonna une question à Ho Sa. Pas de réponse. Levant la
tête, Temüge vit que l’officier et Khasar étaient réveillés et fixaient l’obscurité.
— Qu’est-ce qui se passe ? murmura Temüge.
Il entendit des craquements, des pas, des voix étouffées. La
lune n’était pas encore levée, il n’avait pas dû dormir longtemps.
Une lumière apparut soudain quand l’un des matelots ôta les
volets d’une lampe à huile posée à l’avant. Temüge vit un bras d’homme doré par
la lumière puis la nuit retentit de cris. Khasar et Ho Sa disparurent dans les
ténèbres tandis que Temüge demeurait cloué par la peur. Des corps sombres se
ruèrent à bord en sautant par-dessus le bastingage. Temüge saisit
maladroitement son couteau, se cacha derrière les sacs.
Entendant non loin de lui un gémissement de douleur, Temüge
fut convaincu qu’ils avaient été découverts par les soldats impériaux. Autour
de Chen Yi, qui aboyait des ordres, des hommes haletaient et grognaient en s’empoignant
dans une obscurité quasi totale. Temüge se fit plus petit encore. Plissant les
yeux, il vit la lampe s’élever dans l’air mais, au lieu de s’éteindre dans l’eau
en grésillant, elle tomba sur du bois avec un bruit sourd. L’huile se répandit
en une nappe de feu.
La lampe avait atterri sur le pont d’un autre bateau, d’où
provenaient leurs assaillants. Comme Chen Yi et ses hommes, ils ne portaient qu’une
bande de tissu autour des reins. Leurs poignards étaient longs comme un
avant-bras et ils se battaient férocement. Derrière eux, les flammes montaient
du bois sec, révélant à Temüge des corps s’affrontant, couverts de sueur et
parfois de sang.
Horrifié, il entendit alors par-dessus tous les autres un
bruit familier, le claquement de la corde d’un arc à double courbure. Tournant
la tête, il découvrit Khasar qui, de la proue, tirait flèche sur flèche. Chaque
projectile trouva sa cible, un seul finit dans l’eau lorsque Khasar dut
esquiver un poignard lancé sur lui. Temüge frémit quand un homme mort tomba
près de lui sur le ventre. L’impact de sa chute enfonça plus encore dans sa
poitrine la flèche qu’il avait reçue et dont la pointe ressortit dans son dos.
Malgré l’aide de l’archer mongol, les hommes de Chen Yi
auraient été submergés si le feu n’avait pas commencé à dévorer le bateau de
leurs assaillants. Temüge vit plusieurs d’entre eux retourner sur leur jonque
et saisir des seaux en cuir. Eux aussi tombèrent sous les flèches de Khasar
avant d’avoir pu éteindre l’incendie.
Chen Yi coupa les deux grosses cordes qui reliaient les deux
bateaux, s’arc-bouta à un espar pour repousser l’autre jonque. Elle partit à la
dérive sur le fleuve noir tandis que des ombres tentaient vainement de lutter
contre le feu. C’était trop tard et Temüge entendit des bruits d’éclaboussement
quand les hommes finirent par chercher leur salut dans l’eau.
Les flammes rugissaient tandis que le courant emportait le
bateau embrasé. Une gerbe d’étincelles plus haute qu’une voile monta dans l’obscurité.
Temüge se releva enfin, pantelant. Il sursauta en voyant une forme approcher
mais c’était Ho Sa, empestant la fumée et le sang.
— Tu es blessé ? demanda le Xixia.
Temüge secoua la tête puis se rendit compte que son
compagnon ne distinguait pas son visage après avoir fixé les flammes.
— Je n’ai rien, souffla-t-il. Qui étaient ces hommes ?
— De la racaille du fleuve, peut-être, convoitant ce
que Chen Yi cache dans sa cale. Des criminels.
Ho Sa se tut quand la voix de Chen Yi s’éleva dans la nuit
et la jonque se mit de nouveau à remonter au vent. Temüge entendit l’eau
murmurer quand ils s’éloignèrent des quais de Shizuishan pour gagner la partie
la plus profonde du fleuve. Sur un autre ordre de leur capitaine, les matelots
firent silence et la jonque fila, invisible sur l’eau.
Quand enfin la lune se leva, baignant le fleuve d’argent, elle
révéla que deux des hommes de Chen Yi avaient succombé pendant l’abordage. On
les jeta par-dessus le bastingage sans
Weitere Kostenlose Bücher