Le seigneur des Steppes
froid et vous parviendrez à ne
plus entendre ses récriminations.
Les trois garçons étaient engourdis et Gengis estima le
moment venu de les faire sortir de l’eau. Il s’attendait à devoir soulever
leurs corps amollis et se releva pour s’occuper du premier. Mais Djötchi se mit
debout en même temps que lui, la peau rosie par le sang qui courait en dessous.
Les yeux du garçon ne quittèrent pas son père quand celui-ci, ne voulant pas
aider l’un de ses fils après que l’autre se fut débrouillé seul, toucha le bras
de Chatagai.
Chatagai remua mollement, les yeux vitreux. Lorsqu’il s’aperçut
que Djötchi s’était déjà redressé, il plissa les lèvres et se mit péniblement
débout en glissant sur les pierres du lit. Gengis sentait l’hostilité entre les
deux garçons et ne put s’empêcher de penser à Bekter, le frère qu’il avait tué
des années plus tôt.
Ögödei ne réussit pas à se redresser seul et le bras
puissant de son père le ramena sur la rive pour qu’il sèche au soleil. Gengis
sortit à son tour de l’eau, ruisselant, sentit la vie revenir dans ses membres.
Djötchi et Chatagai, hoquetants, s’approchèrent de lui. Ils savaient que leur
père continuait à les observer et chacun d’eux tentait de reprendre le contrôle
de son corps. Leurs mains tremblaient mais ils se tenaient droits sous le
soleil, n’osant parler de peur de bredouiller.
— Est-ce que ça vous a tués ? leur demanda Gengis.
Yesugei avait posé la même question et Khasar l’avait fait rire
en répondant « Presque ». Ses fils gardaient un silence qui lui fit
comprendre qu’il n’avait pas avec eux les rapports amicaux qu’il avait eus avec
Yesugei. Il se promit de passer plus de temps auprès d’eux. La princesse xixia
avait allumé un feu dans son sang, mais il s’efforcerait de céder moins souvent
à ses charmes tandis que les garçons grandiraient.
— Votre corps ne doit pas vous commander, dit-il, autant
pour lui-même que pour eux. C’est une bête stupide qui ne sait rien des travaux
des hommes. Il n’est que le chariot qui vous transporte. Vous le contrôlez par
votre volonté et en respirant par le nez quand il veut vous faire haleter comme
un chien. Lorsque vous recevez une flèche au combat et que la douleur vous
submerge, vous devez la chasser et, avant de tomber, renvoyer la mort à vos
ennemis.
Tournant les yeux vers les hauteurs, il se remémora des
jours si innocents et lointains qu’il supportait à peine leur souvenir.
— Emplissez vos bouches d’eau, courez jusqu’au sommet
de cette colline et revenez. Lorsque vous serez redescendus, vous recracherez l’eau
pour montrer que vous avez respiré par le nez. Celui qui arrivera le premier
mangera. Les autres auront faim.
L’épreuve n’était pas équitable. Djötchi était l’aîné et, à
leur âge, même un an faisait une différence. Gengis vit ses garçons échanger un
regard en évaluant leurs chances. Bekter aussi était l’aîné mais Gengis l’avait
laissé pantelant sur le flanc de la colline. Il espérait que Chatagai en ferait
autant.
Sans prévenir, Chatagai se précipita vers l’eau, baissa la
tête vers la surface pour aspirer une gorgée. Ögödei le suivit aussitôt. Gengis
se rappela que l’eau était devenue chaude et épaisse dans sa bouche. Il en
sentait presque encore le goût.
Djötchi n’avait pas bougé et son père posa sur lui un regard
interrogateur.
— Pourquoi ne cours-tu pas ?
Le garçon haussa les épaules.
— Je peux les battre, je le sais.
Il y avait dans ses yeux une lueur de défi que Gengis ne
comprit pas. Aucun des fils de Yesugei n’avait refusé de courir. L’enfant qu’il
était alors avait sauté sur cette occasion d’humilier Bekter. Il ne comprenait
pas Djötchi. Ses autres fils grimpaient déjà la colline.
— Tu as peur, murmura-t-il.
— Non, répondit Djötchi calmement en tendant la main
vers ses vêtements. M’aimeras-tu davantage si je les bats ? Je ne crois
pas, conclut-il, la voix tremblant soudain d’émotion.
Gengis le regarda avec stupéfaction. Aucun des fils de
Yesugei n’aurait osé parler ainsi. Comment aurait-il réagi ? Gengis plissa
le front au souvenir des taloches que son père lui assénait. Yesugei n’aurait
pas toléré un tel comportement. Un instant, il eut envie d’assommer le garçon, mais
il s’aperçut que Djötchi s’y attendait et s’était déjà raidi pour recevoir le
coup.
— Tu me
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