Le seigneur des Steppes
dit Temüge, choisissant ses mots avec soin. Tu as une
grande maison, des esclaves et pourtant tu t’es fait passer pour un
contrebandier. Dis-nous qui tu es pour que nous puissions te faire confiance.
— Je suis un homme qui craint que vous ne commettiez
une erreur dans cette ville. Combien de temps tiendriez-vous avant de vous
faire prendre par les soldats impériaux ? Avant de leur raconter ensuite
tout ce que vous avez vu ?
Chen Yi attendit que Temüge traduise pour son frère.
— Réponds que si nous sommes tués ou retenus
prisonniers, Baotou sera réduite en cendres, dit Khasar.
Il éventra la deuxième orange et mordit voracement dans la
pulpe.
— Gengis viendra nous chercher, reprit-il. Il sait où
nous sommes et ce petit homme verra sa chère maison brûler. Dis-lui.
— Tu ferais bien de te calmer, frère, si tu veux que
nous sortions vivants d’ici.
— Laisse-le parler, intervint Chen Yi. Comment Gengis
ferait-il pour incendier ma ville si vous étiez tués ?
À la consternation de Temüge, le petit homme avait posé sa
question dans la langue des tribus. Avec un accent rauque mais assez clairement
pour être compris. Temüge se figea en songeant à toutes les conversations que
le faux capitaine avait entendues pendant les trois semaines de voyage.
— Comment as-tu appris notre langue ? demanda-t-il,
oubliant un instant sa peur.
Chen Yi eut un rire haut perché qui ne contribua pas à
rassurer les trois hommes.
— Vous pensiez être les premiers à pénétrer dans l’empire
Jin ? Les Ouïgours ont suivi la route de la soie, certains sont restés.
Il claqua des mains, et un homme fit son entrée, vêtu d’une
tunique jin, mais ses traits étaient mongols et la largeur de ses épaules
indiquait qu’il avait grandi un arc à la main. Khasar se leva pour le serrer
contre lui en lui martelant le dos du plat de la main. L’accueil fit sourire l’inconnu.
— C’est bon de voir un vrai visage dans cette ville, dit
Khasar.
— Ça l’est encore plus pour moi, renchérit l’homme, visiblement
ému. Que devient la steppe ? Je ne suis pas retourné chez moi depuis des
années.
— Elle n’a pas changé, répondit Khasar.
Une idée le traversa tout à coup et sa main se porta à l’endroit
où aurait dû se trouver son sabre.
— Cet homme est un esclave ?
— Bien sûr, déclara Chen Yi sans la moindre gêne. Qui-shan
était autrefois marchand, mais il a voulu tenter sa chance au jeu avec moi.
— C’est vrai, reconnut l’homme. Je ne resterai pas
toujours esclave. Encore quelques années et j’aurai payé ma dette. Je crois que
je retournerai dans les plaines pour y chercher femme.
— Cherche-moi d’abord, je t’aiderai à prendre un
nouveau départ, promit Khasar.
Chen Yi s’étonna de voir Quishan incliner le buste mais
Khasar accepta le geste comme s’il n’avait rien de nouveau pour lui. Le petit
homme réitéra sa question :
— Alors, expliquez-moi comment ma ville brûlera.
Temüge ouvrit la bouche pour répondre mais Chen Yi leva une
main.
— Non, je n’ai pas confiance en toi. Ton frère a dit la
vérité lorsqu’il me croyait incapable de comprendre. Qu’il continue.
Khasar prit un moment pour choisir ses mots : Chen Yi
les ferait peut-être exécuter une fois qu’il aurait parlé.
— Nous appartenions autrefois aux Loups, puis mon frère
Gengis a uni les tribus. Le roi du Xixia est notre premier vassal, il y en aura
d’autres.
Ho Sa se tortilla avec embarras en entendant ces mots mais
nul ne lui prêta attention.
— Je mourrai peut-être ici ce soir, poursuivit Khasar, mais
mon peuple surgira parmi les Jin et détruira tes villes, pierre par pierre.
Chen Yi écoutait, le visage tendu. Sa maîtrise du mongol
suffisait juste à régler ses affaires et il aurait suggéré qu’on revienne à sa propre
langue s’il n’avait redouté que les autres y voient un signe de faiblesse.
— Les nouvelles vont vite sur le fleuve, dit-il, refusant
de répondre au discours enflammé de Khasar. J’avais entendu parler de la guerre
au Xixia, mais je ne savais pas que ton peuple avait triomphé. Le roi est donc
mort ?
— Il ne l’était pas quand je suis parti. Il paie un
tribut et a donné sa fille à Gengis. Une beauté.
— Tu n’as répondu à ma question que par des menaces, fit
observer Chen Yi. Pourquoi venir ici, dans ma ville ?
Khasar ne se sentait pas assez subtil pour jouer sur les
mots ou faire avaler à
Weitere Kostenlose Bücher