Le seigneur des Steppes
releva prudemment en gardant la tête
baissée. Khasar lui prit son morceau de tissu et s’en frotta le corps jusqu’à
ce que le linge soit noir. Puis il leva une jambe et posa le pied sur un muret
courant le long de la pièce pour se laver les parties génitales. Il termina en
se versant un seau d’eau sur la tête sans cesser de transpercer du regard l’homme
qu’il avait frappé.
Ho Sa se laissa laver sans faire d’histoires et les deux
hommes entrèrent ensemble dans l’eau. Ils demeurèrent tous les quatre dans le
bassin jusqu’à ce que Chen Yi en sorte et plonge dans l’autre. Ils l’imitèrent
et Khasar souffla au contact de l’eau froide, la laissa recouvrir sa tête et
refit surface en rugissant, plein d’une énergie nouvelle. Aucun des Mongols ne
s’était jamais baigné dans une eau chaude, mais le bassin froid n’était pas
plus terrible que les torrents de leurs montagnes.
Chen Yi sortit de l’eau et se fit essuyer par les esclaves. Les
deux frères quittèrent à leur tour le bassin, Khasar soufflant comme un cheval
qui s’ébroue. Cette fois, les serviteurs ne s’approchèrent pas de lui et se
contentèrent de lui tendre un grand morceau de tissu rêche. Il se sécha
vigoureusement jusqu’à ce que sa peau rosisse, défit la corde qui retenait ses
cheveux et les laissa pendre autour de son visage en longues mèches noires.
Temüge tendait le bras vers le misérable tas de tissu sale
que sa tunique faisait sur le sol quand Chen Yi claqua des mains. Les
serviteurs apportèrent des vêtements propres. En retournant dans la pièce de
devant, Temüge passa les doigts sur le tissu soyeux et se demanda ce que Chen
Yi leur réservait maintenant.
La nourriture était abondante et variée, même si Khasar et Temüge
cherchaient vainement du mouton parmi les plats.
— Qu’est-ce que c’est ? dit Khasar en prenant avec
ses doigts un morceau de chair blanche.
— Serpent au gingembre, répondit Chen Yi, qui indiqua
un autre plat. Le chien, vous connaissez, j’en suis sûr.
Khasar acquiesça :
— Quand les temps sont durs.
Il trempa les doigts dans un bol de soupe pour y pêcher un
autre morceau. Sans exprimer de dégoût, Chen Yi prit une paire de baguettes en
bois et montra aux Mongols comment s’en servir. Seul Ho Sa y parvint et Chen Yi
parut légèrement agacé quand Temüge et Khasar firent tomber de la nourriture
sur la nappe. Il leur fit une nouvelle démonstration, plaçant cette fois les
morceaux dans les assiettes des Mongols pour qu’ils puissent les prendre.
Khasar se contenait. On lui avait raclé la peau, on l’avait
arrosé, on lui avait donné des vêtements qui le chatouillaient. Il était
entouré de choses étranges qu’il ne comprenait pas et la colère bouillonnait en
lui. Renonçant à essayer de manger avec ces curieuses baguettes, il les planta
dans un bol de riz. Chen Yi eut un claquement de langue et les retira aussitôt
d’un geste vif.
— C’est une insulte, expliqua-t-il, mais tu ne pouvais
pas le savoir.
Khasar se rabattit sur des brochettes de sauterelles, plus
faciles à manier, croquant les insectes grillés avec un plaisir évident.
Temüge, lui, était prêt à copier leur hôte en tout et trempa
des beignets dans l’eau salée avant de les fourrer dans sa bouche. Après avoir
englouti les sauterelles, Khasar tendit la main vers une pyramide d’oranges, en
prit deux. De ses dents, il arracha un morceau de pelure à la première, l’éplucha
maladroitement puis se détendit en la mastiquant.
Lorsque tous eurent fini de se restaurer, Chen Yi reposa ses
baguettes, attendit que les esclaves aient débarrassé et quitté la pièce pour
demander à Temüge :
— Pourquoi êtes-vous venus à Baotou ?
— Pour faire du commerce, répondit sans hésiter le
frère de Gengis.
— Un marchand ne porte pas un arc mongol et ne tire pas
comme Khasar. Vous êtes mongols. Que faites-vous sur les terres de l’empereur ?
Temüge avala sa salive en s’efforçant de réfléchir vite. Chen
Yi savait depuis longtemps qui ils étaient et ne les avait pas dénoncés. Il n’arrivait
cependant pas à lui faire confiance, pas après autant d’étrangeté et de
confusion.
— Nous appartenons aux tribus du Grand Khan, c’est vrai,
mais nous sommes venus faire du commerce.
— Je suis un marchand, qu’avez-vous à me proposer ?
répliqua Chen Yi.
— Ho Sa t’a demandé quel homme tu es pour posséder
autant de richesses,
Weitere Kostenlose Bücher