Le seigneur des Steppes
dans
le labyrinthe de Baotou. Ce cri ne vint pas et Temüge vit Chen Yi se détendre
tandis qu’ils continuaient à s’éloigner des murailles pour s’enfoncer dans le
cœur de la cité.
13
Les deux chariots roulèrent en grondant sur les pavés jusqu’à
une double grille qui s’ouvrit à leur approche. En quelques instants, les
chariots entrèrent et les grilles se refermèrent derrière eux. Temüge se
retourna, se mordit la lèvre en voyant qu’on dépliait des paravents en bois
devant les barreaux pour bloquer la vue des passants.
Après le tumulte et la cohue, Temüge aurait été soulagé s’il
n’avait pas eu l’impression d’être enfermé. La ville l’avait étourdi par sa
complexité. Cependant, toute fascinante qu’elle fut, elle l’écrasait et il
aurait voulu retrouver les plaines désertes, rien que pour prendre une longue
inspiration avant de replonger.
Les chariots grincèrent quand les hommes en descendirent et
Chen Yi donna ses ordres à ceux qui l’entouraient. Temüge sauta à la suite de
Khasar et sentit son inquiétude revenir de plus belle. Délaissant ses passagers,
Chen Yi accorda toute son attention aux hommes qui sortirent du bâtiment en
trottinant, s’approchèrent des chariots et repartirent, portant deux par deux
un rouleau de soie sur les épaules. Il ne fallut pas longtemps pour que la
cargaison disparaisse à l’intérieur et Temüge s’émerveilla du réseau de
contacts que Chen Yi semblait avoir dans la ville.
La demeure qui entoure la cour pavée appartient probablement
à un homme riche, pensa Temüge. Elle contrastait avec le lacis de bicoques qu’ils
venaient de traverser, mais il y en avait peut-être d’autres semblables, tout
aussi bien cachées. Un rez-de-chaussée couvert d’un toit de tuiles rouges s’étendait
de tous côtés autour d’eux, avec une section centrale, face aux grilles, qui s’élevait
en apex pointus vers un étage. Temüge était sidéré par le travail qu’il avait
fallu pour poser ces centaines, voire ces milliers de tuiles. Il ne put s’empêcher
de comparer le bâtiment avec les tentes de feutre et d’osier dans lesquelles il
avait vécu et éprouva un sentiment d’envie. Quel luxe son peuple connaissait-il
dans la steppe ?
Le toit dépassait des murs, soutenu par des colonnes de bois
peintes en rouge formant un long cloître. À chaque coin se tenaient des hommes
armés et Temüge se rendit compte qu’ils étaient les prisonniers de Chen Yi.
Lorsque les chariots furent déchargés, leurs conducteurs
repartirent et Temüge demeura seul avec Ho Sa et Khasar sous le regard d’étrangers.
Il remarqua que son frère avait glissé la main sous le tissu enveloppant son
arc.
— Nous ne pouvons pas sortir d’ici par la force, murmura-t-il.
Chen Yi avait disparu à l’intérieur de la maison et les
trois hommes furent soulagés de le voir revenir. Il portait maintenant une
tunique à manches longues et des sandales en cuir, ainsi qu’un sabre recourbé.
— Voici ma jia, ma maison. Vous y êtes les bienvenus. Acceptez-vous
de partager mon repas ?
— Nous avons à faire en ville, répondit Ho Sa en
montrant les grilles.
Chen Yi fronça les sourcils. Il n’y avait plus rien, dans
ses manières, de l’affable capitaine de jonque fluviale. Il avait totalement
abandonné ce rôle et montrait un visage grave, les mains jointes derrière le
dos.
— Je me vois contraint d’insister. Nous avons de
nombreuses choses à discuter.
Sans attendre de réponse, il retourna dans la maison et ils
le suivirent. Passé dans l’ombre de l’avancée du toit, Temüge réprima un
frisson en songeant au poids des tuiles au-dessus de sa tête, imagina les
poutres massives s’écroulant sur eux et les écrasant. Il se récita à mi-voix
une des incantations de Kökötchu pour trouver un calme qui se dérobait à lui.
On pénétrait dans le bâtiment principal par une porte
recouverte de plaques en bronze portant des motifs décoratifs. Temüge reconnut
des chauves-souris gravées dans le métal et s’interrogea sur leur signification.
Avant qu’il ait pu faire un commentaire, ils se retrouvèrent dans une pièce
surchargée d’ornements. Khasar adopta un masque froid pour ne pas montrer sa
surprise, mais Temüge demeura bouche bée devant l’opulence de la maison de Chen
Yi. Pour des hommes nés dans une yourte, c’était stupéfiant. L’air était
parfumé d’encens et sentait un peu le renfermé pour eux qui
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