Le seigneur des Steppes
général Zhu Zhong est ici, comme
vous l’avez demandé.
— Faites-le entrer et veillez à ce que je ne sois pas
dérangé, répondit l’empereur en allant s’asseoir.
Il parcourut la pièce des yeux, vit que rien n’y était en
désordre. Nul papier, nulle carte n’encombrait son bureau et il ne montra aucun
signe de colère en attendant l’homme qui le débarrasserait des barbares. Il ne
put s’empêcher de penser au roi xixia et à la lettre qu’il lui avait envoyée
trois ans plus tôt. Il se rappela avec honte le mépris qu’elle exprimait et le
plaisir qu’il avait éprouvé à l’écrire. Qui aurait pu se douter alors de la
menace mongole ? Son peuple n’avait jamais redouté des tribus qu’on
pouvait écraser chaque fois qu’elles s’agitaient un peu trop. Wei se mordit l’intérieur
de la lèvre en considérant l’avenir. S’il ne parvenait pas rapidement à bout
des Mongols, il devrait payer les Tatars pour qu’ils attaquent leurs ennemis
séculaires. L’or jin pouvait remporter autant de victoires que les arcs et les
lances. Il se souvint alors avec affection des paroles de son père et regretta
une fois plus qu’il ne soit plus là pour lui prodiguer ses conseils.
Le général Zhu Zhong avait une forte personnalité et un
physique de lutteur. Sa tête rasée avec soin et luisante d’huile capta la
lumière quand il l’inclina. Wei se surprit à se redresser à son entrée, héritage
de nombreuses heures passées sur le terrain d’exercice. C’était rassurant de
retrouver ce regard farouche et cette tête massive qui l’avaient pourtant fait
trembler quand il était enfant.
Wei constata que Zhu Zhong était d’humeur exécrable et se
sentit de nouveau semblable à un enfant devant lui. Il dut faire un effort pour
affermir sa voix : un empereur ne devait pas montrer de faiblesse.
— Ils arrivent, général. J’ai lu les rapports.
Zhu Zhong considéra le jeune homme au visage lisse qu’il
avait devant lui et regretta de ne pas se trouver devant le père. Le vieil
homme aurait déjà réagi, mais la roue de la vie l’avait emporté et c’était au
fils qu’il avait maintenant affaire.
— Ils ont soixante-cinq mille guerriers, majesté. Leur
cavalerie est remarquable et ils sont tous excellents archers. En outre, ils
ont appris les techniques du siège et disposent d’armes d’une grande puissance.
Ils ont acquis une discipline que je ne leur connaissais pas.
— Ne me parlez pas de leurs points forts ! s’emporta
le jeune empereur. Dites-moi plutôt comment vous les massacrerez.
Le général ne réagit pas mais son silence à lui seul était
un reproche et Wei, une rougeur montant à ses joues pâles, lui fit signe de
poursuivre.
— Pour vaincre l’ennemi, nous devons le connaître, Fils
du Ciel.
Zhu Zhong avait donné ce titre au jeune empereur pour l’aider
à se maîtriser, pour lui rappeler son rang en ce moment de crise. Il attendit
que le souverain ait dominé sa peur pour continuer :
— Autrefois, nous aurions cherché des faiblesses dans
leur coalition. Je ne crois pas que cette tactique marchera encore.
— Pourquoi ? rétorqua Wei.
Est-ce que cet homme allait enfin lui dire comment briser l’échine
des barbares ? Enfant, il avait dû subir les sermons du général grisonnant,
et apparemment il ne pouvait toujours pas y échapper, même avec un empire à ses
pieds.
— Aucune armée mongole n’avait jamais réussi à franchir
la muraille extérieure, majesté. Ils ne pouvaient que hurler à son pied. Mais
la muraille n’est plus la barrière qu’elle était jadis et les Mongols n’ont pas
été repoussés par des forces supérieures comme ils l’auraient été par le passé.
Du coup, ils se sont enhardis.
Wei s’abstint cette fois d’une réaction intempestive et le
regard du général perdit un peu de sa sévérité. Le jeune garçon commençait
peut-être à savoir se taire.
— Nous avons torturé leurs éclaireurs, sire. Plus d’une
dizaine, ces derniers jours. Nous avons perdu des hommes pour les capturer
vivants mais cela en valait la peine.
Le général fronça les sourcils au souvenir de ce qu’il avait
appris.
— Ils sont unis, reprit-il. Je ne puis dire si cette
alliance se défera ou non avec le temps, mais cette année au moins, ils sont
forts. Ils ont des sapeurs, des catapultes. Et les richesses des Xixia derrière
eux.
Zhu Zhong s’interrompit de nouveau, le visage exprimant son
mépris pour
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