Le Serpent de feu
retrouve
l’inspecteur Harold Staiton
Inutile de préciser que, pour James comme pour moi, il fut désormais impossible de fermer l’œil de la nuit. La vue du portrait de l’assassin de Bertram Auber-Jones avait eu sur nos cerveaux l’effet d’un coup de tabac. Une seule et unique question nous occupait sans relâche : pouvait-on réellement envisager la possibilité qu’une momie décidât un beau jour de se relever de son sarcophage, d’entreprendre le voyage jusqu’à Londres et d’expédier ad patres un individu qui, à première vue, ne lui avait rien demandé ?
Passé l’effet de surprise qui l’avait étreint en découvrant le visage de Flaxman dans le journal, mon camarade, fidèle à son esprit pragmatique, ne pouvait s’empêcher de voir dans tout cela une farce au goût plus que douteux. Mais dans ce cas, qui tirait les ficelles ? Et dans quel but ? Les Patterson avaient-ils combiné eux-mêmes la disparition du cadavre embaumé pour faire de la publicité à leur entreprise ? Pourtant, si leur nom venait à être jeté en pâture à la police et aux journalistes, ils risquaient de figurer au titre de principaux suspects dans cette invraisemblable affaire.
Quant à imaginer, comme mon camarade en avança un instant l’hypothèse, que Stephen Flaxman ne fût pas réellement mort et qu’il eût passé plus de onze années en état de catalepsie, je rappelais que la chose en l’espèce était inconcevable. Car, quand bien même Flaxman aurait eu la mauvaise fortune d’être embaumé vivant, l’opération, en substituant plusieurs litres de fluide conservateur à la masse de liquide sanguin, n’aurait pas manqué de l’achever pour de bon.
En tout état de cause, il fallait à présent rassembler nos idées afin d’élaborer un plan de marche efficace. Notre enquête se révélait soudain d’une autre nature que prévue.
Juste avant les premières lueurs du jour, nous descendîmes dans la salle commune. La pension était encore plongée dans le sommeil, excepté du côté des cuisines où une vieille femme épluchait une montagne de légumes. Malgré l’incongruité de nos demandes à une heure aussi indue, celle-ci ne rechigna pas à nous apporter, outre une cafetière bouillante et quelques tranches de gâteau à la cannelle, une carte de la région et un indicateur des chemins de fer.
Notre présence à tous les deux n’était pas indispensable pour mettre au courant les Patterson de la parution du dessin dans la presse et s’attacher à éprouver leur bonne foi. Nous décidâmes donc que James se chargerait de cette mission. Il consacrerait la matinée à interroger Archibald, Nathaniel, ainsi que leur homme à tout faire, Mr Lubin, puis à examiner à la loupe, en quête d’indices, le pavillon extérieur et la crypte sécurisée. Enfin, ayant estimé qu’il n’était point superflu de parcourir les vingt petits miles séparant la cité de Swindon de celle de Witney, il tâcherait de rencontrer Betty Poulton, la cousine de Flaxman, dont l’adresse de l’époque figurait sur le certificat de décès.
De mon côté, il fut établi que je prendrais le premier train pour Londres afin de rencontrer David Bishop. Puisque ce dernier était le seul à avoir entrevu le présumé assassin d’Auber-Jones, l’urgence était de lui présenter le cliché pour qu’il certifiât que c’était bien cet individu, et non un autre, qu’il avait croisé le soir du meurtre.
Comme l’article de l’ Evening Standard le laissait entendre, l’enquête sur la mort du jeune politicien mobilisait l’attention des plus hautes autorités du pays. Aussi, il n’était pas question d’agir seul et de manière irréfléchie. Avant toute chose, il me faudrait donc persuader l’inspecteur Staiton de me laisser interroger le dessinateur du portrait.
Une fois convenu de se retrouver dans l’après-midi à Montague Street pour faire le point sur nos progrès respectifs, nous levâmes le camp.
Dehors, le soleil venait de se lever, et une brume filandreuse flottait au-dessus des pavés. Mon compère, qui affichait une mine resplendissante malgré l’absence de sommeil, me déposa à la gare, puis repartit sans attendre en faisant vrombir sa Midget.
La locomotive, partie de Swindon à cinq heures trente-deux, entra en gare de Paddington à sept heures vingt précises. Le temps de me restaurer d’un énième café et de quelques beignets, j’empruntai la ligne circulaire du tube
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