Le Serpent de feu
et décidai de descendre à l’Embankment plutôt qu’à Westminster, histoire de me dégourdir les jambes.
Au-dessus de Northumberland Avenue, une marée de drapeaux, d’écussons et de grandes bannières rouges et blanches, suspendues d’un côté à l’autre de la chaussée, formait un dais si fourni qu’on ne voyait plus le ciel que par endroits. Les décorations devaient être tout aussi luxuriantes dans les principales artères du quartier, autour des jardins de Buckingham Palace, de l’abbaye de Westminster, et sur tout le trajet qu’emprunterait le carrosse de George VI et de la reine Elizabeth à travers la capitale.
Malgré la petite pluie fine qui tombait depuis mon départ de Swindon, je cheminai le long de la Tamise et ralliai à pied l’édifice à toits pointus abritant le siège de la police métropolitaine et son département d’investigation criminelle, autrement désigné « CID », où exerçaient ses plus fins limiers.
Parvenu devant la cahute de l’officier de faction, je demandai à m’entretenir de manière urgente avec l’inspecteur Staiton. Puis, ayant traversé la cour et pénétré dans le hall principal du célèbre bâtiment, je fus invité à patienter.
Au bout d’une vingtaine de minutes, un agent nanti d’impressionnants favoris à la François-Joseph vint m’informer que l’inspecteur était accaparé par une réunion d’état-major et que, si je persistais dans mon désir de le rencontrer, il me faudrait encore attendre. Je n’avais guère le choix, aussi ne fut-ce qu’une heure et demie plus tard que je me vis convié à emprunter l’escalier menant au saint des saints. Quand j’arrivai devant le bureau du policier, la porte était entrouverte, laissant apercevoir Harold Staiton, le crâne entre les mains, qui considérait en grommelant une imposante pile de papiers posée devant lui.
S’étant enfin rendu compte de ma présence, l’inspecteur en civil me fit signe d’entrer. Il paraissait d’une humeur de dogue.
J’observais en m’avançant que les murs de la pièce avaient été repeints depuis ma dernière visite. De nouvelles ornementations avaient également été disposées, s’ajoutant à la kyrielle de portraits des anciens hauts-commissaires.
Surprenant mon regard, Staiton s’adossa à son siège, les bras ouverts sur le décor qui l’entourait.
— Eh oui, mon jeune ami ! Voici la récompense qui me fut octroyée pour la capture de cet infâme Thaddeus Babel 1 : un mirifique badigeonnage des quatre murs et du plafond. Mais vous êtes pour beaucoup dans cette élévation sensible de mon cadre de vie. Sans vous et votre camarade, ce fou furieux serait encore en liberté… et les plâtres de mon bureau continueraient à s’écailler.
— Allons, vous vous moquez de moi, dis-je en prenant place sur la chaise en face du policier. C’est à vous et à nul autre que revient l’entière responsabilité de cet exploit. Votre clairvoyance, votre sens du devoir et votre réactivité ont été les ferments de la réussite dans cette enquête. Sans oublier votre légendaire bravoure !
Sous le déluge de flatteries, Staiton se détendit. Il ajusta sa cravate à petits pois autour de son encolure de taureau et afficha son plus beau sourire – ou ce qui, chez lui, en tenait lieu, la langue s’immisçant entre les dents trop grandes et trop écartées, et le double menton vibrionnant de concert avec les oreilles.
— À ce propos, je note que vous êtes venu seul. En général, vous ne vous quittez pas d’une semelle, vous et ce cher Trelawney.
Le pouce sous le menton, l’index soulevant exagérément le bout de sa longue truffe, l’inspecteur se concentrait pour tenter de tirer tous les développements possibles de cette pénétrante observation.
— Hum, hum ! J’en déduis que vous êtes sur une affaire sérieuse. Votre équipier est resté sur les lieux afin de mener les interrogatoires et d’examiner scrupuleusement la situation, pendant que vous êtes venu adresser à ce bon Staiton une requête des plus spéciales. En tout cas, je ne peux qu’approuver votre manière de faire. Se diviser les tâches de manière à être plus efficace, c’est du bel ouvrage !
Je souris à mon interlocuteur d’un air ravi. Malgré son côté soupe au lait, l’inspecteur ne manquait pas de ressource. De plus, il m’ouvrait une voie princière pour introduire auprès de lui le véritable motif de ma visite. Mais avant que j’aie
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